lundi 30 mai 2016

1916 : l'année « Verdun »

Maurice ETIENNE

Sous-Lieutenant au 367ème Régiment d'Infanterie


Chapitre VIII

1916 : l'année « Verdun »




Année 1916



2 Janvier 1916... [suite résumée des lettres de Maurice]. Après un joyeux réveillon de Noël à Nancy, il célèbre le Nouvel An à la popote de sa compagnie, fête rehaussée par de nombreux envois de Paris et de Grenoble (foie gras, chocolats, marrons glacés, fruits confits, etc.).
Maurice à Nancy

Le 1er janvier fut amusant. A minuit, les Boches poussèrent des Hoch colossaux et tirèrent une salve de crapouillots. Les Français ne répondirent rien sur le moment. Mais à midi, ils bombardèrent en règle un petit poste boche situé à 15 mètres de nos tranchées, avec des coquilles d’huîtres et des carcasses de poulet soigneusement raclées. Fritz n'osa pas se montrer tout d'abord. La fête se termina par une dégelée de grenades (Citron Foug) afin d'assaisonner les huîtres.

17 Janvier… Maurice obtient une permission de 10 jours que je viens passer avec lui à Paris. Janvier et février passent lentement, par un temps très froid, très humide ou neigeux, avec de grandes souffrances pour tous ceux qui sont dans les tranchées, et les repos sont rares au 368°. Les Boches montrent de l'activité et on est constamment alerté.

15 Mars… Maurice rend compte avec une satisfaction bien légitime du coup de main heureux qui valut à la 19° Compagnie du 368° les honneurs du communiqué et une citation à l'Ordre de la Brigade (voir citation in fine). Tout avait été préparé dans le plus grand secret et la surprise du coté boche fut complète. Les poilus, brillamment enlevés par les lieutenants Paulard et Etienne, enjambèrent les parapets alors que notre artillerie tirait encore sur les Boches terrés dans leurs cachettes. On fit de ces derniers un grand carnage, et les tranchées ennemies furent enlevées et nettoyées sur un front de 200 mètres.

Maurice fut en outre l'objet d'une citation individuelle à l'Ordre de l'Armée, car il tua de sa main deux Boches, dont un officier, qui refusaient de se rendre, et en fit un troisième prisonnier. Notre fils, cette fois, l'avait échappé belle, car en pénétrant dans la tranchée ennemie, il fut tiré à bout portant par un Boche qui avait simplement laissé son fusil au cran de sécurité. Maurice eut le temps de l'abattre de deux coups de revolver en pleine poitrine.

Le Général Joffre, qui se trouvait près de là, envoya de suite et directement ses félicitations à la Compagnie.

1er avril… C'est la date du décès de mon oncle, le Commandant Aimé Mathieu, né à Virieu-sur-Bourbe (Isère) en septembre 1839, ancien élève de l’École Saint-Cyr, Chevalier de la Légion d'Honneur, ancien maire de Virieu, mort subitement dans sa villa Marguerite, Promenade des Anglais à Nice. Le plus jeune d'une famille de six enfants, il avait tenu à conserver, bien que lui-même n'eût pas d'enfants, l'antique demeure des Glénat à Virieu. On trouvera en détail tout ce qui concerne cette famille et lui-même dans un album où mon oncle en a fait un historique très intéressant. Son intention était que cette propriété restât dans la famille, avec une foule de meubles anciens et curieux objets de souvenir. Mais il prit les dispositions testamentaires les plus directement opposées à la réalisation de ce désir. On dut vendre les deux maisons, jardin, parc, communs, etc... qui étaient depuis des siècles la demeure des Glénat. Ce fut avec une grande tristesse que les héritiers se résignèrent à cette solution. Mon oncle était un fervent du culte familial. Sa maison était restée un temple, un centre où il aimait à recevoir à tour de rôle tous ses parents. Il a consacré dix années de sa retraite à reconstituer la généalogie des Glénat, des Mathieu et des familles proches alliées.

Maintenant, il repose au cimetière de Virieu, à coté de nombreux ascendants, et sera probablement le dernier de la famille dans une région où les noms de Glénat et Mathieu étaient universellement connus et estimés. Les Mathieu à Romans, les Commandeur à Lyon, les Etienne à Paris, Les Lacuire et les Hermil un peu partout n'ont plus de point central de réunion.

6 Avril… Pour revenir à Maurice, il apprend que son ami Georges Robert est près de lui, en face de Pont-à-Mousson, sur la rive droite de la Moselle. Georges lui donne rendez-vous, mais Maurice qui est dans les tranchées et qui commande sa compagnie, ne peut s'absenter.
Sur la Moselle

Les permissions sont suspendues en raison des événements de Verdun et le Service Postal devient très irrégulier. Maurice, après ses dernières citations, est désolé de rester encore Sous-lieutenant à titre « dérisoire ».

21 Avril… Ils sont au repos et Maurice se donne une entorse, ce qui l'oblige à entrer à l'infirmerie. Cette vie monotone et inconfortable commence à peser lourd.

24 Avril… C'est la fête de Pâques, mais combien triste. Ils ont eu néanmoins leur messe en plein air. Maurice reçoit ce jour là des paquets de chatteries de maman et des Robert, ce qui dissipe un peu sa mélancolie.

1er Mai… Il est affecté à la 4° Compagnie de mitrailleuses, l'objet de ses plus ardents désirs. 
Maurice et les autres officiers du Bataillon


Il y retrouve deux très bons amis, les lieutenants Pinot et Bussienne. Du fait de cette mutation, ses conditions d'existence se sont heureusement modifiées. Sur 24 jours, il passe 12 jours aux tranchées et 12 jours au repos.

7 Mai… A coté de cette bonne aubaine, il a un sujet de désolation. Son excellent ordonnance, le fidèle Pouteau n'étant pas mitrailleur, n'a pu l'accompagner. Il est remplacé par un bon sujet, d'une classe supérieure mais peut-être moins débrouillard, nomme Bellouet, pépiniériste à Orléans. Pou le nettoyage, rien ne peut remplacer Pouteau qui brossait et astiquait tout et tout le temps, même les chaussettes.

3 Juin… Le 368°, dont l'effectif a fondu, est dissous et le peu qui en reste est réparti entre les 367° et 369°. Maurice est versé au 367° et reste au Bois-le-Prêtre.
Poste d'observation en réserve
 

14 Juillet… Notre fils voit sa permission remise aux calendes grecques. La Division va quitter le Bois-le-Prêtre pour une destination inconnue, mais la suppression des permes laisse supposer que c'est Verdun, où la lutte continue, furieuse. La photographie ci-après l'indique d'ailleurs.
Cuisine roulante en route pour Verdun

17 Juillet… La Division, fatiguée, va décidément au repos, écrit-il à sa mère. On va faire des sports, dont on a reconnu l'utilité. En réalité, il est déjà près de Verdun. Les permissions ne tarderont pas à être rétablies, et il pense pouvoir prendre la sienne vers la fin du mois, ce qui se réalise, du reste.

9 Août… Il rentre en permission et il trouve sa nomination à titre définitif. Comme la guerre traîne en longueur et qu'on piétine sur place, il sent s'agiter le cafard.

De son coté, Simone passe l'été chez les Robert dans leur campagne de La Tour de l'Orb.

17 Août… Maurice m'écrit pour me dire qu'en rentrant de perme il a été acheminé sur Verdun avec sa Division. Le Général Lebocq, en procédant à la reconnaissance du front, s'est fait amocher. C'est un enfer de mitraille. Il tient Maman dans l'ignorance de la situation.

3 Août… Il en fait part à Maman après les premiers grands combats qui, en épargnant relativement le 367°, ont gravement éprouvé le 369°. Il est sur les pentes de Vaux-Chapitre. Il est trempé par des pluies continuelles et il y a gagné un gros rhume. Il dort toutes les fois qu'il le peut, car il tombe de fatigue après les effroyables luttes qu'ils ont eu à soutenir. On ne trouve rien à boire que du Champagne qu'on fait venir de Bar-le-Duc.

Il vient d'apprendre la mort glorieuse de Pierre Capdepon, presqu'un enfant, il n'avait que 18 ans, tué dans la Somme, à Maurepas le 16 août comme Aspirant dans les Chasseurs à pied. Pierre, un véritable héros, s'était engagé à l'âge de 17 ans pour venger son frère Jean tué dans les Vosges, et avait fait un stage à l’École Saint-Cyr. C'était mon neveu à la mode de Bretagne.

7 Septembre… Maurice est toujours dans le même coin, où il est soumis à un marmitage intense. Le moral des poilus est étonnant et on n'a plus de craintes à avoir du côté de Verdun. Il est vrai que la grosse offensive de la Somme n'a pas peu contribué à cet heureux résultat.

11 Septembre… Il quitte cet enfer et pousse un long soupir de soulagement. Ouf, c'est fini. Le voilà maintenant au repos complet près de Bar-le-Duc. Sa Division s'est admirablement comportée, sans perdre un pouce de terrain. Elle a pris 1500 mètres de tranchées près du Fort de Vaux, et fait de nombreux prisonniers, capturé beaucoup de mitrailleurs. « Le Boche n'existe plus » dit-il dans son enthousiasme. Quant à lui, il est resté un peu sourd après cette terrible canonnade ininterrompue.
Pétain, le général vainqueur de Verdun

19 Septembre… Pendant la relève, Maurice s'échappe en bombe et vient passer deux jours auprès de sa mère à Paris. On leur avait promis quinze jours de repos après Verdun, mais au bout de six jours pendant lesquels ils furent embarqués deux fois, on les renvoya dans les tranchées, non loin de Lunéville, vers Rambermesnil-Aménoncourt, face à Avricourt, contre la forêt de Paroy. C'était un secteur de tout repos, où il tombait un obus tous les trois jours. On est à 1200 mètres des boches ; les guetteurs sont assis à l'extérieur du poste, en fumant leur pipe. Leur consigne est de veiller à ce que les boches ne viennent pas faucher l'herbe dans l'intervalle neutre, ou y faire paître leurs vaches.

Là, il apprend que son cousin, le Lieutenant d'Artillerie René Lacuire, vient d'être légèrement blessé, peut-être, dit Maurice, par un éclat d'obus français. C'est que, depuis Verdun, il en veut à nos artilleurs qui tiraient fréquemment sur notre Infanterie.

25 Septembre… Le secteur est toujours d'un calme parfait. On déjeune en plein air, au clair et on se promène à toute heure sur les parapets.

6 Octobre… Ils n'ont pas changé de secteur mais voici les premiers symptômes de l'hiver et on patauge dans la boue. La Division a reçu des nègres en renfort.

26 Octobre… Il conduit dans un centre d'instruction sa compagnie, dont beaucoup de bleus de la classe 16 ne connaissaient qu'imparfaitement le service des mitrailleuses.

Octobre, Novembre et Décembre se passent dans la neige et la boue, avec peu d'activité et encore moins de confortable. Les nègres sont frigorifiés, mais ils ne se conservent pas mieux pour cela. Codet est toujours dans un hôpital à Troyes. Le Capitaine André Hermil est dans la Somme.

10 Décembre… Maurice prend une permission supplémentaire de quelques jours.

27 Décembre… Il rentre à sa Compagnie le 24 décembre, pour le réveillon, qui fut joyeux, comme d'habitude. Il a reçu de Grenoble d'excellents chocolats de Peloux-Payer envoyés par Madame Émile Clément, et des fondants expédiés par Maman, ce qui lui aide à traverser la période des fêtes. L'Administration lui fournit des bottes en caoutchouc, imperméables mais peu solides, qui sont de première nécessité car la boue argileuse qui constitue le fond des boyaux est merveilleusement apte à conserver l'eau du ciel.

28 Décembre… Il envoie à Maman ses souhaits de bonne année. Il espère que le 1er janvier 1918 nous trouvera tous réunis, mais sans trop y compter !!! L'année 1917 nous réservait la tragique catastrophe.

Quant à Maurice, il dit avoir avoir un moral en acier chromé et il se réjouit de prendre une grande permission régulière au milieu de janvier.

31 Décembre… Situation inchangée. Maurice s'est commandé une superbe paire de bottes en cuir jaune, lacée et montant jusqu'au genou. Il en augure le plus bel effet pour sa permission.


Le 31 décembre, Madame Quiquandon, propre tante de ma femme, née Salviany, est décédée Hôtel Franquières à Grenoble, à l'âge de 96 ans. Elle était la grand-mère de nos cousins Chollier.

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