Maurice
ETIENNE
Sous-Lieutenant
au 367ème Régiment d'Infanterie
Chapitre
VII
1915 :
la première année de guerre
Année
1915
Janvier
1915... [suite résumée
des lettres de Maurice].
Première
piqûre, qui le rend assez malade pendant deux jours. Deuxième
piqûre sans fièvre. En ce qui concerne leur alimentation, une
instruction ministérielle prescrit de leur donner du hareng ou de la
morue, deux jours sur trois, afin d'épargner le bétail.
Maurice
se fait proposer, soit pour officier d'Infanterie de Réserve, soit
pour officier d'Administration. A cet effet il réclame de toute
urgence à sa mère un extrait de son casier judiciaire n°2, un
certificat de bonne vie et mœurs et des extraits de ses diplômes de
Licencié en Droit et de l’École des Sciences Politiques. Son
dossier doit être établi pour le 25 janvier.
Il
prend tous les quinze jours de petites permissions sous le manteau de
la cheminée, pour venir à Paris.
Le
12 février... il reçoit de Paul Guéneau, de Lyon, un imperméable
en soie spéciale comprenant pèlerine, couvre-képi, etc. très
précieux contre la pluie.
Le
25 février... sa santé se ressentait encore des fatigues
antérieures et du manque de confort actuel. Aussi, est-il admis à
l'Infirmerie du Dépôt, puis à l'Hôpital Temporaire n°32, service
du Docteur Girard, de Sens, pour une otite qui le fait beaucoup
souffrir.
Le
19 mars... il sort enfin de l'Hôpital, son otite guérie sans
opération. Il appréhende de partir de suite, faible comme il est,
car on doit envoyer au front un détachement de 400 hommes pour
remplacer en nombre égal des soldats du 368° qui viennent de sauter
dans l'explosion d'une mine. Mais sa proposition pour officier la
fait maintenir provisoirement au Dépôt.
Le
15 avril... Maurice souffre de l'estomac depuis quelques temps. Il a
cessé temporairement du fumer et se nourrit de pâtes. Il loue une
chambre à raison de 20Frs par mois. Il va rendre visite au
grand-père Boige qui lui a fait un parfait accueil et lui offre un
excellent déjeuner, qui le change des harengs (hors d’œuvre,
pâtes, côtelettes aux petits pois, poulet, salade, gâteaux, etc.)
Fin
avril... en attendant le résultat de sa proposition pour officier,
il est nommé sergent et appelé à faire l'instruction des Bleus de
la classe 16, ce qui le distrait et lui plaît même beaucoup. A
Sens, il se distingue avec son escouade en éteignant un incendie.
Début
mai... il passe un premier examen éliminatoire en vue de sa
proposition pour officier de Réserve. Son Commandant lui pose les
deux questions suivantes :
1/-
surface du cercle ???
2/-
Formation de l'unité allemande
Très
brillant sur la première, il montra beaucoup de fantaisie et
d'originalité pour la seconde. Il est juste de dire que l'une et
l'autre des questions n'avaient qu'un rapport lointain avec le
service des tranchées. Maurice est retenu comme admissible.
Le
14 mai... avec le printemps, les conditions matérielles de la vie se
sont beaucoup améliorées. L'examen général pour officier de
réserve approchant, il se fait envoyer un certain nombre de livres.
De mon coté, je le recommande à l'un de mes anciens subordonnés du
front, la Capitaine Cassanade, officier d'ordonnance du Général
Commandant la Subdivision, Président du Jury des examens. L'examen
de Maurice se déroule d'ailleurs dans de bonnes conditions, et il
eut d'excellentes notes.
Le
20 juin... notre fils fait ses préparatifs pour se rendre avec ses
hommes au camp d'Estissac, en vue de manœuvres à exécuter dans
cette région.
Le
28 juin... il reçoit la nouvelle de la mort de son cousin Jean
Capdepon, âgé de 30 ans, Lieutenant aux Chasseurs Alpins, tué le
21 juin 1915 à la tête de sa section d'une balle en plein cœur à
Metzeral dans les Vosges. Jean avait déjà été grièvement blessé
en Alsace en même temps que Maurice.
Il
apprend également que sa proposition pour officier n'avait pas
abouti. J'avais bien écrit au Général Margot, Directeur de
l'Infanterie, pour lui recommander Maurice, mais ma lettre arriva
trop tard. L'échec provient du défaut d'ancienneté dans le grade
de sergent, la barre ayant été tirée juste au-dessus du nom de mon
fils, malgré les bonnes notes obtenues, et dont j'obtins
confirmation par la voie du Général.
Dans
le même temps, Maurice reçoit l'ordre de quitter Estissac et de se
rendre à Sens, en vue d'un départ prochain au front.
Le
1er
Juillet... Maurice part pour Sens, extrêmement regretté par les
jeunes recrues qu'il avait instruites et qui demandaient en masse à
partir avec lui. Il a le temps de faire un saut Paris pour ses adieux
à Maman. Il sait qu'il est affecté à
la 20° Compagnie du 368° du Bois-le-Prêtre, Quart de Réserve,
secteur postal 84, à l'ouest de Pont-à-Mousson.
Le
3 Juillet... il quitte Sens et rejoint sa compagnie, toujours comme
sergent. Le secteur est calme pour le moment.
Le
5 juillet... Maurice paraît satisfait. Les conditions matérielles
sont bonnes. Ce jour là, ils ont déjeuné avec du homard sauce
mayonnaise et une grosse omelette. Mais l'eau est détestable et il
se fait envoyer du permanganate de potasse pour la purifier. Il est
heureux de rencontrer son cousin, le Lieutenant du Génie André
Hermil, au cœur de la forêt de Puvenelle, et le lendemain il tombe
dans les bras de son meilleur ami, le Médecin aide-Major
Henri Codet. Tous les trois déjeunent ensemble au fond du
Bois-le-Prêtre.
Cela
commence à chauffer dans le secteur. Maurice a eu une grosse
déception de ne pas être nommé Sous-lieutenant, mais au lieu de se
décourager il se promet de « faire
l'impossible pour gagner en face de l'ennemi le galon qui lui a été
refusé une première fois à l'intérieur. »
Maurice dans la tranchée, sous la croix |
Le
Bois-le-Prêtre est un endroit malsain. Les pertes récentes y ont
été énormes, et malgré un gros renfort amené par Maurice, on n'a
pu reconstituer qu'un bataillon à compagnies réduites. On commence
à se rendre compte que la campagne sera longue.
Le
13 Juillet... on est toujours convenablement approvisionné en vivres
mais Maurice réclame des cigarettes. Ils ont eu à soutenir de très
rudes attaques. L'effort boche commence à se briser de ce coté.
Notre fils signale la discordance de la réalité avec les
affirmations des communiqués officiels.
Le
19 juillet... le 368° est redescendu du Quart de Réserve, à
l'effectif de 400 hommes, et on l'a reconstitué à un seul
bataillon. Son Capitaine, Vannier, ne lui inspire pas grande
confiance. C'est un comptable au Comptoir Général
d'Escompte.
Au
contraire, il apprécie beaucoup son chef de Bataillon, le Commandant
Maréchal. Le chef d’État-Major est le Commandant Guerrier, qu'il
a connu à Trégastel. Le Colonel Eberlé ne se montre pas souvent.
La
Brigade est commandée par le Colonel Florentin, avec qui il s'est
toujours bien entendu et qui est la bravoure faite officier.
Il
ne cesse de pleuvoir, les tranchées sont pleines d'eau, et on ne
peut dormir une heure. On mange ce que l'on peut, et froid. Il faut
constamment veiller aux marmites et torpilles.
Le
24 Juillet… le régiment est au repos dans la forêt de Puvenelle,
après douze jours des plus pénibles. Maurice retrouve André ainsi
que Codet, qui lui offre un gîte et d'excellents repas. En
descendant du Bois-le-Prêtre, son capitaine l'a proposé pour
Sous-lieutenant et il exulte. Son chef ignorait la proposition
antérieure, « j'ai
donc l'illusion de croire que c'est dû à mon seul mérite. »,
écrit
Maurice.
Le
27 Juillet… le régiment remonte dans les tranchées. Il ne cesse
de pleuvoir et Maurice réclame à grands cris son imperméable et sa
montre. Il se porte très bien, malgré la pluie diluvienne, et il a
gagné un appétit d'ogre dans cette vie au plein air. Il envoie des
bagues d'aluminium à sa mère et ses sœurs.
Le
1er
Août… il est toujours aux tranchées, entre Fey-en-Haye et
Quart-en-Réserve. Il pleut sans discontinuer. Le régiment sera
relevé demain et envoyé pour six jours en seconde ligne.
Le
4 Août… il apprend, ce jour là, sa nomination au grade de
Sous-lieutenant à titre temporaire, à dater du 29 juillet. Il est
affecté à la 19° Compagnie du 368°, même secteur. Il écrit
cette nouvelle de Pont-à-Mousson où il est allé s'équiper. Il
réclame d'urgence des effets.
Le
5 Août… le Sous-lieutenant Maurice Etienne est aux anges. Outre un
bon mandat qui courrait depuis quelques temps après lui, il touche
son indemnité de premier équipement, 650 Frs, qui lui semble une
fortune. Il s'équipe à Pont-à-Mousson avec modération, car les
Mussipontins, sous prétexte de bombardement, majorent sérieusement
leurs prix. Il réalise néanmoins l'objet de ses rêves depuis le
début, l'achat de deux articles de luxe « un
stylo et un rasoir Gilette. »
En même temps, il reçoit de sa mère du linge et une montre. La vie
d'officier lui paraît superlativement bonne. Plus de fusil, ni de
baïonnette, ni de harnais qui écrase le dos. Mais ce qu'il apprécie
par-dessus tout, c'est un ordonnance. Il a eu – de ce coté – la
main heureuse. Il est tombé sur un brave auvergnat nommé Pouteau,
le plus dévoué et le plus débrouillard des hommes. Ce dernier –
qui a déjà enterré deux sous-lieutenants – vient d'en expédier
un troisième, blessé, sur Lyon. Maurice espère que la Providence
trouvera ce compte suffisant pour un seul ordonnance.. Du reste il y
a beaucoup d'auvergnats dans sa compagnie et les autres soldats les
appellent « les
Alliés »,
leur déniant ainsi la qualité de français. La compagnie ne compte
que 110 hommes, au lieu de l'effectif normal de 200 hommes et plus.
Le soldat Pouteau, nommé ordonnance de Maurice |
Tous
les officiers de son Bataillon sont des réservistes à l'exception
du Commandant Maréchal. Son nouveau capitaine est – dans le civil
– un placier en
gros,
aimable mais peu militaire. Leur moral est médiocre. Quant à lui,
toujours optimiste, il essaie de réchauffer cette atmosphère, mais
– in petto – il reconnaît que la situation sur le front, la
vraie, n'est pas toujours celle que vantent les journaux. Il ajoute
que ses collègues, malgré tous les ordres ministériels, ont dans
le voisinage leurs épouses ou assimilées.
Enfin,
par malheur et comme étant le plus jeune de grade, il remplit les
fonctions de chef de popote, situation peu enviable, car peu dans ses
cordes, alors que les cuistots des officiers ont gravement besoin
d'être surveillés.
Il
a reçu une lettre de Vezzani qui s'est fait verser dans une usine à
l'intérieur. Il le prévoyait.
Le
8 Août… il prévient Maman qu'à dater de ce jour toutes les
lettres du front devront être remises ouvertes ; il ne pourra
donc plus relater que des banalités. Mais le but de cette mesure
sera difficilement atteint. Car avec la logique française, on donne
en même des permissions, et les permissionnaires vont se charger du
transport des lettres.
Ils
montent aux tranchées.
Le
10 Août… La pluie fait rage. Les 3 kilomètres de boyaux de
communications ont – dans le fond – 40 centimètres d'eau.
Lui-même a un abri assez confortable à l'épreuve des projectiles
de calibre moyen. On va bientôt les mettre au repos dans la forêt
de Puvenelle, et il pourra finir de s'habiller et de s'équiper.
Le
12 Août… Maurice vient de recevoir d'Alger, par les soins de
Magdeleine, un paquet soi-disant de
linge,
qui contient en réalité d'excellents cigares. Ils ont un gros
succès auprès des membres de la popote. Depuis quelques temps, les
Boches ne sont pas sages, et on médite de leur infliger une
correction.
Le
13 Août… Dans les tranchées, on a de l'eau jusqu'aux genoux.
L'Autorité a rapporté la décision concernant l'ouverture des
lettres, de crainte de mécontenter les poilus. En outre, ces
derniers qui depuis 40 jours n'ont pas vu une seule maison, murmurent
et réclament que leur prochain repos ait lieu dans un village
français, et non dans des paillotes nègres, au fond d'un bois.
L’Autorité leur donne satisfaction, car il importe de ménager le
moral des soldats si durement éprouvés.
Maurice
apprend qu'Henri Crépey a été versé dans l’Artillerie, arme
moins éprouvée que l'Infanterie.
Le
15 Août… A l'occasion de la fête de l'Assomption, il assiste à
une messe en plein air, près de l'Auberge St. Pierre. La cérémonie
est dénuée de tout luxe. Les bougies n'ont rien voulu savoir pour
rester allumées, et la toile de tente qui servait de nappe d'autel
s'est envolée deux fois pendant le Saint-Sacrifice. La fenêtre à
gauche de la tête du prêtre, sur la photo, est celle de la chambre
de Maurice au cantonnement.
Le
18 Août… Magdeleine, qui est à Alger auprès de son beau-père le
Général Hanoteau, Gouverneur de la ville, lui fait savoir qu'elle
est convalescente d'une forte fièvre typhoïde. En même temps, sa
belle-mère s'est cassée la jambe en tombant dans un escalier de
leur villa officielle et garde le lit. Tout s'est bien passé, grâce
aux bons soins du Docteur Benhamou, Professeur-adjoint à la Faculté.
Nous n'avions été prévenus de rien.
Le
20 Août… le 368° arbore pour la première fois le casque d'acier,
qui parut d'abord un peu lourd, mais semble diminuer dans de fortes
proportions la fréquence ou la gravité des blessures à la tête.
Codet s'est fait évacuer sur un hôpital pour fatigue généralisée.
Le
25 Août… Maurice prend sa première leçon d'équitation avec
André Hermil, sur un vieux cheval de cuisine roulante.
Le
30 Août… La Division, la 73° du
Général
Lebocq, a été relevée toute entière et ramenée au repos en
arrière du front,
à proximité de Nancy.
Elle a besoin d'être retapée, matériellement et moralement, après
une année passée en luttes continuelles et acharnées au
Bois-le-Prêtre.
Maurice
date ses lettres de Liverdun où il se trouve délicieusement bien.
Il profite de cette villégiature pour canoter et se perfectionner
dans l'équitation.
Maurice à Liverdun, au premier plan |
Le
7 Septembre… Il est au repos, remettant ses hommes en mains par de
fréquents exercices. Depuis le 2, il est en possession d'un superbe
uniforme neuf bleu horizon, et d'un imperméable, objet suprême de
ses désirs.
Le
12 Septembre… le 368° quitte Liverdun pour une destination
inconnue, qui ne sera probablement pas le
Bois-le-Prêtre, dit-il à sa mère.
Le
22 Septembre… (lettre écrite à moi) Des camions automobiles
viennent de les enlever inopinément et de les transporter à pied
d’œuvre, c.a.d. à La Croix des Carmes et au quart de Réserve. La
vie dure va recommencer, mais il ne faut pas le dire à Maman, à qui
il raconte qu'il est toujours au repos.
Le
25 Septembre… De son coté, on prépare un fort coup de torchon qui
permettra d'utiliser les travaux du Génie préparés par le
Lieutenant André Hermil. L'attente du signal d'exécution fait une
drôle d'impression à fleur de peau.
Depuis
une quinzaine, Maman et ses sœurs sont à Prudhomme. Maurice
continue à leur laisser croire qu'ils sont toujours à Liverdun.
Le
26 Septembre… L'attaque projetée, subordonnée aux événements de
Champagne, parait de jour en jour plus probable. Les hommes, à qui
on a lu la circulaire du Général Joffre, sont convaincus que ça
ira et leur moral est remarquable.
Malgré
sa confiance en sa bonne étoile, Maurice prévoit le pire. En
m'écrivant, il me fait une sorte de testament. D'abord un aperçu de
sa situation financière, actif et passif, après envoi de sa solde à
Maman. Il a 80 Frs sur lui, une jolie montre en argent au poignet et
un stylo. S'il est tué, réclamer
sa belle cantine neuve qui renferme pas mal d'effets personnels, et
surtout son Gilette. Il laisse Maman dans l'ignorance de sa situation
géographique et de l'attaque en préparation.
Le
4 Octobre… L'attaque n'a pas encore eu lieu, mais André Hermil a
vendu la mèche, et Maman sait que Maurice est remonté dans les
tranchées. A la date du 4 octobre, Maurice obtient la Croix de
Guerre et une bonne citation à l'ordre de la Brigade pour être allé
chercher, de jour, à 30 mètres des réseaux de fil de fer ennemis
et avoir ramené dans nos lignes un blessé allemand (voir citation
in fine).
Un coin, à Fay-en-Haye |
Le
7 Octobre… l'attaque est ajournée sine die.
Le
9 Octobre… Grâce à la Croix de Guerre et à l'intervention du
Général Roques, son commandant d'Armée, il obtient une permission
de dix jours pour Paris.
Maurice (sous la croix) |
Le
20 Octobre… A son retour, et jusqu'au 1er
janvier 1916, Maurice se plaint du froid, de la neige, du
désœuvrement, de l'ennemi, pendant ces longues journées et ces
interminables nuits dans les tranchées, le tout entrecoupé de
quelques rares repos, dont un passé pour l'instruction à Jaillon,
près de Liverdun.
Toutefois,
sa santé se maintient bonne, sauf « un
léger rhumatisme sous le petit doigt du pied gauche, une
bagatelle. »
En
somme, l'année 1915 lui a plutôt été favorable. On est dans
l'attente d'événements militaires importants, dès que le temps le
permettra.
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