Maurice
ETIENNE
Sous-Lieutenant
au 367ème Régiment d'Infanterie
Chapitre
IV
1905-1909 :
fixés
à Paris, et
les enfants qui grandissent
Pendant
ce temps, je prenais mon service à l’État-Major du 6° Corps
d'Armée, 2e
Bureau, sous les ordres directs du Commandant de Margerie, officier
de premier ordre, disgracié comme moi par le Général André.
Le
Chef d’État-major était le Colonel Maitrot, devenu général et
écrivain militaire connu. Je reçus le meilleur accueil et n'eus
qu'à me féliciter de mon nouveau poste. Je m'installai à Châlons
en garçon, laissant ma famille à Paris pour le motif suivant :
avant de prendre sa retraite, le Général Faure-Biguet avait obtenu
du Général Florentin, Grand Chancelier de la Légion d'Honneur, la
promesse de me prendre auprès de lui dès que le poste de Chef de
Cabinet deviendrait vacant. Persuadé que cet espoir se réaliserait
bientôt, je ne voulais pas entreprendre un double déménagement. Je
venais voir fréquemment ma
famille qui
continua son existence laborieuse au milieu de nos relations.
Le
25 mars, nous eûmes la douleur de perdre Mme. Vve. Édouard Vidil,
née Hippolyte Salviany, propre tante de ma femme, chez qui cette
dernière vivait avant son mariage. Mme. Vve. Édouard Vidil était
une femme d'une distinction remarquable, d'une bonté et d'un
jugement parfaits, faisant le plus noble, le plus généreux et le
plus généreux usage d'une fortune considérable. Elle habitait 2
rue de France, 1er
étage. Sa mort fut une très grande perte pour les pauvres de
Grenoble et pour toute sa famille.
Le Commandant Etienne accompagne le Général Florentin à une inauguration aux Tuileries |
J'ai
aussi à relater une bien cruelle épreuve pour une famille déjà
douloureusement frappée. Notre cousin Louis Capdepon, négociant à
Lyon, mourut subitement au mois de mai à l'hôtel Central de Paris
où il était de passage. On se rappelle que sa femme, Marie
Capdepon, était morte subitement en 1898. Capdepon laissait cinq
enfants orphelins dont aucun n'avait encore une position.
Ce
fut au milieu de ces deuils et de l'incertitude de ma situation
militaire que l'été se passa. En raison de ma conviction qu'un
changement aurait lieu pour moi à l'automne, je donnai congé de mon
appartement de l'avenue de Tourville le 15 juillet, et notre mobilier
fut engerbé provisoirement dans un deux pièces du rez-de-chaussée
du même immeuble.
Toute
ma famille alla passer trois mois à Mondorf, petite station thermale
du Grand Duché du Luxembourg, où Maurice la rejoignit. Ce furent
des vacances très gaies, avec beaucoup de distractions et de
relations nouvelles. Les miens firent des excursions charmantes, dont
une à Trèves et l'autre à Metz.
Le
30 septembre, Maurice dut reprendre le chemin du Rondeau, en passant
par Reims où il s'arrêta une demi-journée, et que je lui fis
visiter. Il admira beaucoup la splendide cathédrale et la vielle
église de St. Rémy.
Maurice, à 15 ans |
Moi-même,
le 8 octobre, je me rendis à Luxembourg pour ramener ma femme et mes
filles. Nous y passâmes une journée et reçûmes une hospitalité
écossaise chez Madame David. De là, nous partîmes pour Paris. Ma
belle-sœur, Madame Keisser, nous avait retenu deux chambres dans une
pension de famille très convenable tenue par Madame Poizat, 16 rue
St. Romain. La nourriture y était bonne et la société bien
composée. Ma famille y passa deux mois et, parmi les personnes
présentes, elle se lia avec une jeune américaine, charmante, Miss
Laure de Beauregard-Larendon, surnommée Doucette à cause de
l'aménité de son caractère, d'origine canadienne française, l'un
de ses ascendant direct étant le Général de Division de
Beauregard, tué au Canada pendant la guerre de 7 ans. Son domicile
était à la Nouvelle Orléans en Atlanta. Nous continuons à nous
écrire fréquemment.
Le
10 décembre il survint deux événements importants, l'un heureux,
l'autre triste.
En
premier lieu, la place que j'ambitionnais à la Grande Chancellerie
devint vacante
et, sur la demande du Général Florentin, je fus nommé attaché à
la personne du Grand Chancelier, pour entrer en fonctions le 25
décembre. Nous devions être logés au Palais même, gratuitement,
dans un gentil pavillon qui fut aménagé très confortablement. Je
quittai avec quelque émotion l’État-Major du 6° Corps où
j'avais recueilli de nombreuses sympathies, ainsi que la ville de
Châlons
où j'avais été si cordialement reçu par les familles de deux
camarades d’École, Monet, Ingénieur en Chef des Ponts et
Chaussées, et Borgolz, Chef de Bataillon du Génie.
En
même temps, je recevais à Châlons
un télégramme de Grenoble m'annonçant que la santé de mon
beau-frère Joseph Salviany, très précaire depuis un an, devenait
très mauvaise et qu'on pouvait redouter un dénouement fatal. Ne
pouvant m'absenter, je prévins Madame Keisser et ma femme qui se
rendirent immédiatement auprès de leur frère, 2 cours St. André à
Grenoble. Après huit jours d'angoisse, la crise fut conjurée. Mais
il resta dans la circulation un caillot de sang qui se fixa dans la
jambe droite du malade, au haut du mollet. Il fut impossible de s'en
débarrasser et le membre flétrit. Il faudra se résoudre à lui
couper la jambe, au mois de janvier.
Au
mois de décembre, j'ai encore à signaler le mariage de notre cousin
Antoine Clément, Greffier en Chef du Tribunal civil de Grenoble,
avec Mlle. Marguerite Thorrand (1886-1918), fille de l'entrepreneur
bien connu. Le jeune ménage eut cinq enfants, deux fils et trois
filles.
Quant
à nos fillettes, ma femme, en quittant Paris, dut abandonner la
pension de famille et les mettre provisoirement pensionnaires au
Cours Désir où elles suivaient des cours depuis la rentrée
d'octobre. J'ai omis de relater qu'au mois de juin 1905, ma fille
Magdeleine avait obtenu le Diplôme du Brevet simple, avec grand
succès, au Cours
Bertier qui ne préparait pas au-delà.
Le
26 décembre, j'allais chercher ma femme à Grenoble et la ramenais à
Paris, Hôtel d'Orléans, rue Jacob, où nous descendions en
attendant que les réparations de notre pavillon fussent terminées.
Quant
à Maurice, les mathématiques continuaient à lui répugner fort et
il aspirait à rentrer à Paris depuis qu'il nous y sentait
définitivement fixés. Comment ne réussissait-il que médiocrement
au Rondeau, bien qu'il eût fait de notables progrès dans la branche
Littérature ? Alors, je me décidai à le rapprocher de nous
dès le premier février, et à le mettre comme pensionnaire au Lycée
Louis-le-Grand, toujours en classe de mathématiques.
Concernant nos enfants, je n'ai rien de particulier à signaler pendant la période scolaire. Ils allaient assidûment jouer au Luxembourg. Nous donnâmes une matinée dansante à leurs amis et amies.
Je
ne veux pas laisser sous silence la mort de la cuisinière de notre
famille, Marie Genon, dite Marie de Rives, décédée dans le courant
du printemps à l'âge d'environ 77 ans.
Entrée au service de mon père, Notaire à Rives, au moment de son mariage le 1er janvier 1855, elle ne savait ni lire, ni écrire, ni faire la moindre cuisine. En peu de temps, grâce à une intelligence et une application remarquables, elle devint excellente cuisinière et la plus dévouée des servantes. Elle rendit à ses maîtres des services inappréciables par son économie, son honnêteté, son savoir-faire merveilleux, ainsi que son tact pour recevoir les clients. Ayant vu naître et soigné tous les enfants de mes parents, elle nous tutoyait et nous morigénait, toujours pour notre plus grand bien. Elle faisait partie intégrante de la famille, partageait nos joies et nos peines. En 1881, à la mort de notre père, et en 1882, à la mort de notre mère, elle se prodigua pendant leurs douloureuses maladies. Nos deux jeunes sœurs restées seules, elle leur servit de chaperon, presque de mère. En 1885, ma sœur Gabrielle ayant épousé le Docteur Hermil, Marie entra à leur service à Grenoble. Après le décès du Docteur Hermil en 1891, elle continua ses soins dévoués auprès de sa veuve et de ses deux jeunes enfants. Elle accompagna ma sœur à Antibes, à Cannes et à Nice. Elle travailla jusqu'à son dernier jour et mourut après 57 ans et demi de services ininterrompus dans notre famille. Nous la pleurâmes, et mon plus grand regret fut de n'avoir pu obtenir pour elle l'une des récompenses du prix Monthyon, à l'Académie. Elle repose maintenant au cimetière de Nice. Elle avait voué son affection toute particulière à mon fils Maurice, quelle gâtait à outrance pendant les vacances. Elle avait réalisé de grosses économies qu'elle laissa à ma sœur, Madame Hermil.
Entrée au service de mon père, Notaire à Rives, au moment de son mariage le 1er janvier 1855, elle ne savait ni lire, ni écrire, ni faire la moindre cuisine. En peu de temps, grâce à une intelligence et une application remarquables, elle devint excellente cuisinière et la plus dévouée des servantes. Elle rendit à ses maîtres des services inappréciables par son économie, son honnêteté, son savoir-faire merveilleux, ainsi que son tact pour recevoir les clients. Ayant vu naître et soigné tous les enfants de mes parents, elle nous tutoyait et nous morigénait, toujours pour notre plus grand bien. Elle faisait partie intégrante de la famille, partageait nos joies et nos peines. En 1881, à la mort de notre père, et en 1882, à la mort de notre mère, elle se prodigua pendant leurs douloureuses maladies. Nos deux jeunes sœurs restées seules, elle leur servit de chaperon, presque de mère. En 1885, ma sœur Gabrielle ayant épousé le Docteur Hermil, Marie entra à leur service à Grenoble. Après le décès du Docteur Hermil en 1891, elle continua ses soins dévoués auprès de sa veuve et de ses deux jeunes enfants. Elle accompagna ma sœur à Antibes, à Cannes et à Nice. Elle travailla jusqu'à son dernier jour et mourut après 57 ans et demi de services ininterrompus dans notre famille. Nous la pleurâmes, et mon plus grand regret fut de n'avoir pu obtenir pour elle l'une des récompenses du prix Monthyon, à l'Académie. Elle repose maintenant au cimetière de Nice. Elle avait voué son affection toute particulière à mon fils Maurice, quelle gâtait à outrance pendant les vacances. Elle avait réalisé de grosses économies qu'elle laissa à ma sœur, Madame Hermil.
Mme. Vve. Edouard Vidil, née Salviany |
Au
mois de juin, je représentai, comme tous les ans, le Grand
Chancelier à la cérémonie de la Confirmation des élèves de St.
Denis. J'y rencontrai pour la première fois Mgr. Amette, coadjuteur
du Cardinal Richard. Je déjeunai en face de lui, à coté de la
Surintendante, Mme. Ryckbusch, femme d'une haute distinction et d'une
grande valeur. Au dessert, je levai mon verre en l'honneur du futur
Cardinal avec qui je conserve toujours des relations très
affectueuses. Mgr. Amette (décédé en 1920) joignait à un robuste
appétit une affabilité exquise, un esprit d'à-propos et de
répartie charmant, une facilité d'improvisation et d'élocution
remarquable. Normand très fin, très libéral en même temps que
très pieux, il savait faire aimer la religion. Il se prodiguait
beaucoup de sa personne malgré un état de santé un peu précaire
et jamais il ne manqua, quand il le put, de venir donner lui-même la
confirmation à St. Denis, seul établissement de l’État où il
pût pénétrer durant cette période si troublée pour l’Église.
Il savait que la bouderie, cousine germaine de la rancune, n'est ni
agréable à Dieu, ni habile auprès des hommes.
Dans
les mêmes conditions, à Ecouen et aux Loges, maisons d'éducation
de la Légion d'Honneur situées en Seine-et-Oise, je fis la
connaissance du nouvel évêque de Versailles, Mgr. Gibier, prélat
éloquent, libéral, plein de feu et de zèle. Chaque confirmation,
pendant huit années, j'eus l'occasion d'admirer cet éminent
prélat.
Le
25 juillet, eut lieu en l'église St. Jacques du Haut-Pas, le mariage
de notre nièce Adèle Keisser avec le jeune Charles David qui venait
d'obtenir le diplôme d'Ingénieur de l’École Centrale de Paris.
Ma nièce avait 25 ans, son mari 24. Comme le père de la mariée
était décédé quelques années auparavant, c’est moi qui
conduisit Adèle à l'autel. La cérémonie fut suivie d'un déjeuner
au café Voltaire, place de l'Odéon. La veille, j'avais donné un
grand dîner à la maison. Les jeunes époux durent bientôt quitter
Paris pour se rendre à Castres, où le jeune ingénieur allait
accomplir une année de service, comme Sous-lieutenant au 9°
d'Artillerie.
Les vacances approchaient. Comme nous n'avions pas vu ma propre famille depuis 2 ans, nous nous résolûmes de nous réunir dans une grande maison de campagne, à Arvillard (Savoie), tout près d'Allevard. Il régnait une sécheresse intense et une chaleur tropicale. Les vacances, néanmoins, furent excellentes dans ce pays très boisé où les points d'excursion abondent.
Nous
avions décidé de mettre Maurice en 1ère B (Latin-Langues), les
mathématiques n'étant décidément pas son fait. Mais la
connaissance d'une langue vivante étant indispensable, Maurice
choisit l'allemand qu'il étudia avec fruits sous la direction
éclairée de son oncle, Théophile Lacuire.
Dans
le courant de septembre, il survint à ma fille Magdeleine un
accident qui aurait pu avoir de fatales conséquences dans ce pays
désert de tout médecin sérieux. En courant avec ses cousins, elle
arriva, sans y prendre garde, au sommet d'un talus de prairie très
raide, fut entraînée par son poids tout le long de la pente et se
reçut sur la tête en arrivant en bas. Il fallut la transporter à
la maison pendant un assez long trajet, et elle resta plusieurs
heures dans un coma inquiétant. Le médecin de La Rochette, appelé,
n'y entendait pas grand-chose, et personne n’était bien expert
dans la pose des sangsues. Enfin, Magdeleine s'en tira grâce à la
vigueur de sa constitution, mais pendant 24 heures, elle resta
plongée dans un hébétement absolu, ne cessant de répéter « je
suis raide, je suis paf. »
Comme
Arvillard était assez près de Tencin, nous allions parfois tenir
compagnie à mon pauvre beau-frère Joseph Salviany, amputé, qui y
possédait une petite maison de campagne.
Vers
la fin septembre, nous eûmes la douleur de perdre ma tante, veuve
de feu Auguste
Etienne, le
frère aîné de mon père, décédée
chez sa fille Madame Émile Clément, 4 quai des Allobroges à
Grenoble, à l'âge de 88 ans.
En
octobre, Maurice rentra au Lycée Louis-le-Grand en 1ère B. C'était
l'année de la première partie du Baccalauréat. Il y réussit très
bien et occupa les premières places en composition française, en
latin, et même en mathématiques. En histoire, il était très
irrégulier, tantôt premier, tantôt dernier. Naturellement en
retard pour les langues vivantes il prit d'excellentes leçons d'un
répétiteur. Ses seules difficultés, comme toujours, furent avec
les répétiteurs d'études pour qui il manquait de déférence et
qui le lui rendaient en retenues.
Outre
le tennis, il inaugura le régime des sports les jeudis et dimanches
avec son ami Codet. Son premier pas eut lieu en novembre et il gagna
un prix dans une course à pied. Il avait emporté de la maison un
pantalon usagé qu'il coupa au dessus des genoux pour s'en faire une
sorte de culotte sportive. On chercha longtemps le pantalon
mystérieux, disparu. Puis, ce fut le tour du ballon ovale et bientôt
notre fils acquit au rugby une réputation qui devait aller en
grandissant encore.
Magdeleine
continuait au Cours Désir sa préparation au Brevet Supérieur.
Outre ses leçons de piano avec Mlle. Schaefer, elle suivait
l'excellent cours de dessin de M. Yan d'Argent qui lui enseigna
remarquablement les principes de l'aquarelle.
Vers
le milieu de décembre, les nouvelles de la santé d'oncle Joseph
redevinrent mauvaises et ma femme se décida à se rendre à Grenoble
où elle descendit chez Édouard Vidil. L'état ne parut pas empirer,
tout d'abord. Ma femme avait passé avec son frère toute la journée
du 31 décembre, puis était allée dîner le soir en ville. Oncle
Joseph s'était levé et avait tout organisé pour bien recevoir sa
sœur, le lendemain, premier jour de l'an. Soudain, à 9h du soir, il
se sent au plus mal et meurt au bout d'un quart d'heure des suites
d'une congestion cérébrale, due sans doute à une embolie. Ma
femme, avisée de suite, ne put arriver qu'après le décès.
Joseph Salviany |
Année
1907
Les
obsèques eurent lieu le 2 janvier, et le corps fut inhumé dans la
sépulture Salviany, cimetière St. Roch à Grenoble. Charles David
et moi
étions présents.
Mon
beau-frère était âgé de 47 ans, célibataire et rentier. Avec
lui, disparaissait le nom de Salviany qui avait honorablement figuré
dans la haute bourgeoisie grenobloise pendant plus de 100 ans.
Joseph, bien que nous ne le vissions que rarement, laissa un grand
vide chez nous. C'était le parent le plus rapproché de ma femme
pour qui il avait été très bon pendant la période où elle était
jeune fille orpheline. Son appartement ainsi que le mobilier qui le
garnit, 2 cours St. André, 1er
étage, appartiennent à ma femme. La famille Salviany, dont on
trouvera ailleurs la généalogie, était, dit-on, originaire de
Suisse, canton des Grisons.
Pendant
nos deux jours d'absence, nos enfants, restés seuls à la grande
chancellerie, furent recueillis par le Général et Madame Florentin
qui les hébergeaient aux repas.
Madame
Keisser, ma belle-sœur, se remaria après avec un jeune architecte
de valeur, Bernard Haubold. Les ménages Haubold et David se fixèrent
à Auteuil.
Le 25 mars, je fus promu Chef d'Escadron et maintenu comme Chef de Cabinet du Grand Chancelier.
Au
mois de mai, nous eûmes la douleur de perdre notre tante Marguerite
Mathieu, née Petignief, de Vienne (Isère). Elle avait épousé mon
oncle Aimé, le plus jeune de nos oncles de Virieu, ancien maire de
cette localité. Elle mourut des suites d'une opération dans leur
villa de la promenade des Anglais à Nice. Elle jouait un rôle
important dans la famille et laissa d'unanimes regrets. Du coté
Petignief, elle avait huit neveux et nièces, les enfants Faure et
Bizet. Elle est inhumée au cimetière de Virieu, sépulture Mathieu.
Nos
deuils nous condamnèrent à quelque solitude. Puis, vint la période
agitée des examens. Magdeleine inaugura la série des succès en
enlevant brillamment son brevet supérieur. Quant à Maurice, il fur
reçu à la première partie du baccalauréat, sans coup férir, au
mois de juillet, avec des compliments pour sa version latine et sa
composition française. Henri Codet avait été reçu en même temps
que lui.
Pour
la récompense de son succès, j'offris à Maurice une villégiature
à Piriac (Morbihan) sur les bords de l'océan, où les Codet
possédaient une villa. Mon fils y apprit à pédaler, à pêcher, à
fumer et surtout à très bien nager.
Quant
à nous, après beaucoup d'hésitations, nous partîmes le 2 août à
Trégastel (Côtes du Nord) pour passer les mois de vacances à la
Communauté Ste. Anne, sorte de très grand hôtel très bien
aménagé. On y accédait par voie ferrée jusqu'à Lannion et, de là
à Trégastel, par voiture hippomobile. Actuellement, la voie ferrée
a été prolongée jusqu'aux portes de Trégastel. Le pays est
magnifique et a été surnommé « la Côte de granit rose »
à cause de la couleur des roches extraordinaires qui en font la
principale curiosité. Les lieux d'excursion abondent et la pêche
des crevettes roses est fructueuse. Il y a de très belles villas
(celle de Mme. Alexandre Dumas, M. Reichenberg…). La Communauté,
qui peut contenir environ 200 personnes, admises sur références
soigneusement contrôlées, plaît beaucoup aux dames et jeunes
filles à cause de la sécurité des relations.
Enfin,
le voisinage de Ploumanach, de Perros-Guirec, de la Clarté, etc...
rend cette station très intéressante. Nous nous y créâmes de
nombreuses relations, dont les principales furent les familles de
Marsy, Lumans, Vilette, Foiret, Fléchette etc. que nous retrouvâmes
ici. L'établissement était administré par une ancienne religieuse
ne présente, à son début, aucune particularité
Cette
année là, les familles Hermil et Lacuire allèrent passer leurs
vacances à Munich. Au retour, à Strasbourg, ma sœur Thérèse
Lacuire fut atteinte, à l'hôtel, d'une crise cardiaque que l'on put
maîtriser, mais qui pouvait donner lieu à de graves réflexions
pour l'avenir.
La
rentré scolaire n'intéressait plus notre fille aînée qui
cultivait exclusivement le piano et l'aquarelle. Maurice commença
sa classe de philosophie. Il travaillait avec modération mais
plus, peut-être, qu'il n'y paraissait. Ses convictions le portaient
certainement plus du coté du sport. Très grand, très leste, svelte
en même temps que vigoureux, il réussissait à tous les jeux, et
sa passion pour les exercices physiques l'a sûrement préservé de
beaucoup d'écarts plus graves.
Le
dernier trimestre de l'année s'acheva sans incident. Nous nous
rendîmes à Grenoble pour assister à un service religieux en
souvenir de l'oncle Joseph.
Simone à 9 ans |
Année
1908
L'année
1908 ne présente, à son début, aucune particularité. Maurice se
maintenait à un bon rang dans sa classe de philosophie. En juillet,
il enleva la seconde partie de son baccalauréat avec une composition
en philosophie qui lui valut les plus vifs éloges de l'examinateur.
Aussitôt
après, départ pour la villégiature. Mon oncle, le Commandant
Mathieu, veuf depuis peu, offrit l'hospitalité chez lui aux familles
Hermil et Lacuire. Pour être tous réunis, je louai à Virieu la
villa Annaquin, nom de son propriétaire, le médecin Inspecteur qui,
décédé l'année précédente, l'avait léguée à sa veuve.
C'était une maison bien comprise, avec un joli parc, dans une
situation de choix. Maurice était des nôtre et, pour la récompense
de son travail, je lui pris un permis de chasse. Je dois reconnaître
qu'il réussit très médiocrement dans ce sport, qu'il abandonna
bien vite. Nous reçûmes pendant une huitaine de jours à la maison
ses amis Codet et Duru, qui étaient venus avec leurs parents passer
leurs vacances sur les bords assez rapprochés du lac d'Aiguebelle.
Ce
ne furent que parties de plaisir, excursions, jeux et parties de
boules chez notre oncle, bains dans le lac de Paladru. Après le
départ de nos invités, l'oncle Aimé offrit à Maurice, André
Hermil et Théophile Lacuire une superbe course dans les Alpes, à
bicyclette (Gap, col du Parpaillon, Fort
de Tournoux,
vallée de l'Ubaye, Barcelonnette, etc.). Une autre fois, il leur fit
faire le tour du lac du Bourget.
Marcelle Hermil, Maurice Etienne, André Hermil, Magdeleine Etienne, à Virieu |
Jean Lacuire, Simone Etienne, Suzanne et René Lacuire, à Virieu |
Au
mois d’août, j'allais avec tous les miens à Grenoble pour
assister au mariage de Marie Vidil avec la Chef d'Escadron
d'Artillerie Dessens, actuellement Général de Brigade dans le
Palatinat.
Le
6 octobre, nous reprenions tous le chemin de Paris. Maurice se
faisait inscrire à la Faculté de Droit de Paris. Il comptait
partager son temps entre ces cours et ceux de l’École Libre des
Sciences Politiques, école indispensable pour la carrière
d'Inspecteur des Finances qu'il visait.
En
dehors de ces occupations, il se fit inscrire au PUC (Paris
Universitaire Club), association sportive récente de rugby
(principalement) dont il devint rapidement le capitaine et l'As.
En
octobre, le jeune Pierre Hanoteau, qui avait été reçu cette année
dans un bon rang à l’École Polytechnique, était affecté (pour
l'année 1908-1909) à un régiment d'Artillerie de Bourges afin d'y
accomplir l'année de service réglementaire et y perdre une année
plus fructueuse ailleurs. Il devait
en sortir
Maréchal-des-Logis.
L'automne
fut très calme. Magdeleine faisait de notables progrès en
aquarelle, et en piano également, depuis qu'elle prenait des leçons
de cet instrument chez une excellente maîtresse d'Auteuil, Madame
Billa.
Quant
à Simone, elle travaillait bien au Cours Désir, où elle occupait
un des premiers rangs de sa classe. Le 31 mai, elle avait fait sa
première communion au Cours, sous la direction de l'Abbé Méresse,
avec un certain nombre d'excellents amies, Germaine Arbel, Céline
Aman-Jean, Marie-Thérèse Coriton, etc...
Année
1909
Nous
avons d'abord à enregistrer la mort regrettable à tous les points
de vue de M. Yan d'Argent, l'excellent artiste et le consciencieux
professeur d'aquarelle de Magdeleine, qui lui doit ce qu'elle a fait
de mieux en peinture. Après son décès, ma fille alla pendant
quelques mois
chez
une autre artiste, Blanche Odin, médaillée de la Société des
Artistes Français, qui produisait des œuvres assez intéressantes,
mais dont le genre de peinture ne plaisait pas à Magdeleine.
Celle-ci suivit alors les cours de Mlle. Jeanne Dangon, 25 quai de
Grands Augustins, et par intermittence ceux de Filliard, chez Mme.
Vve. Yan d’Argent, rue de la chaise. Filliard était un
aquarelliste des plus remarquables, mais il se désintéressait un
peu des élèves.
Maurice
travaillait très bien à l’École des Sciences Politiques, section
financière, qui était tout à fait dans ses aptitudes. Il avait
d'excellentes notes dans ses examens bimensuels. Désireux de faire
partie d'un club de sport d'un ordre plus relevé, il se fit inscrire
au Stade Français, et fut de suite connu comme un des As du 15
Supérieur de Rugby. Il se trouvait un emploi intéressant de ses
après-midi du dimanche. Il allait matcher avec des équipes en
province, à Bordeaux, Toulouse, Bègles,
Lyon, etc. et revenait parfois avec quelque contusion grave, entorse,
épaule luxée, visage en capilotade. Mais cela ne diminuait en rien
son ardeur et, grâce à son habileté au jeu, il devint demi
d'ouverture, poste capital dans l'équipe.
Maurice
fréquentait toujours Henri Codet et sa famille. Il se lia avec Jean
Poisson, étudiant en médecine, neveu de M. René Quinton, fils d'un
capitaine d'Artillerie breveté de grande valeur, mon ancien camarade
de l’École Polytechnique, malheureusement décédé jeune par
suite de tuberculose. Madame Vve. Poisson s'était retirée avec Jean
dans une jolie propriété de Meudon, rue des galons, et y donnait de
bonnes réunions auxquelles nos enfants étaient conviés. Jean
Poisson, après s'être marié jeune le 15 mars 1913 devait mourir le
13 octobre 1920 de la même maladie que son père, laissant 3 enfants
en bas âge.
Au mois d’août, j'envoyai Maurice passer deux mois en Angleterre afin de se perfectionner dans la connaissance de la langue étrangère exigée pour ses examens. Il fut reçu chez M. Ogle, Pasteur protestant à Teignmouth, Bishop's Erington Vicarage. Il y passa des vacances très agréables, très nouvelles pour lui, et fit de rapides progrès dans la langue anglaise. Je dus lui envoyer son habit pour lui permettre de dîner le soir n’importe où, suivant le mode d'Angleterre. Il apprit aussi à prendre un bain à chaque changement de costume dans la journée.
Pendant
ce temps, ma femme et mes filles allaient passer un mois très
agréable à Virieu chez notre oncle Aimé qui nous avait
gracieusement invités. Ce fut pendant leur séjour qu'eut lieu la
catastrophe ci-après…
Le
3 août, Jean et Élisabeth Capdepon, nos cousins, accompagnés d'un
touriste étranger, quittaient le
refuge de la Bérarde, dans l'Oisans (Isère), pour faire l’ascension
si dangereuse de la Barre des Ecrins. Tout se passa bien dans la
montée. Mais à la descente, la chute de l'un des excursionniste
entraîna les deux autres dans le couloir des Ecrins à une
effroyable glissade de plus de 500 mètres. Au bas du glacier, on
trouva les cadavres affreusement mutilés de Mlle. Capdepon et du
touriste étranger. Quant à Jean Capdepon, quoique sérieusement
blessé, il eut la force de rentrer à la Bérarde, au prix de mille
souffrances, et d'aller chercher du secours pour ses malheureux
compagnons.
Élisabeth
était une charmante jeune fille âgée de 26 ans. Quant à Jean,
alors dans sa 29ème année, il devait trouver plus tard une mort
glorieuse en Alsace, comme Lieutenant de Chasseurs Alpins.
A
la fin d’août, je vins chercher ma femme à Virieu pour la
conduire à Béziers, chez les Robert. Nous passâmes par St.
Marcellin (Isère) où villégiaturaient nos parents Hermil et
Lacuire. Ma sœur Thérèse souffrait d'une grave affection
cardiaque, qui la condamnait au lit. Nous restâmes trois jours avec
eux. En arrivant à Béziers, le grand omnibus (déjà mentionné)
des Robert nous attendait à la gare et nous conduisit à leur
propriété de La Tour d'Orb.
Cette
propriété, jadis inculte, enfouie dans les sables et les hautes
herbes, avait été défrichée par Robert et plantée en vignes.
Elle était devenue un magnifique vignoble de 60 hectares, en plein
rapport, avec une grande façade sur la mer, produisant annuellement
ses 4000 hectos. Robert y avait créé, en outre, à force de
persévérance et malgré les déboires dus au vent marin, un beau
parc invraisemblable dans ce sable.
Nous
y passâmes un mois de septembre délicieux, dans l'abondance de
toutes choses et entourés de mille soins. La plaie de La Tour de
l'Orb,
ce sont les moustiques qui ne font jamais grève. Pour pouvoir
dormir, il faut
garnir
à demeure les fenêtres d'un treillis en fer à réseau très fin.
Le
27 septembre, nous rentrâmes à Paris par l'itinéraire Toulouse,
Lourdes, Pau, Biarritz, Bordeaux. Ce fut un voyage splendide et du
plus haut intérêt. Lourdes surtout, vu au milieu d'un pèlerinage
breton, nous produisit un grand effet.
A
Paris, en même temps que nous, arriva Maurice, complètement rasé,
à la tête de veau, selon la mode anglo-saxonne. Il avait
heureusement passé en juillet ses examens de 1ère année de
baccalauréat en droit, et se préparait à une grosse année de
travail à l’École des Sciences Politiques.
Le
2 septembre, nous avions appris une heureuse nouvelle. Mon neveu
André Hermil, après deux années de préparation à l’École
Polytechnique, dans le lycée de Nice dont il avait été un brillant
élève littéraire, venait d'être reçu Major, à l'âge de
dix-huit ans. Avant d'entrer à l’École, il allait faire son année
de service au 2° Régiment d'Artillerie, à Grenoble.
Quant
à Pierre Hanoteau, il quittait Bourges en octobre pour entrer à
l’École Polytechnique.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire