vendredi 13 mai 2016

1905-1909 : fixés à Paris, et les enfants qui grandissent

Maurice ETIENNE

Sous-Lieutenant au 367ème Régiment d'Infanterie


Chapitre IV

1905-1909 : fixés à Paris, et les enfants qui grandissent


Année 1905

Pendant ce temps, je prenais mon service à l’État-Major du 6° Corps d'Armée, 2e Bureau, sous les ordres directs du Commandant de Margerie, officier de premier ordre, disgracié comme moi par le Général André.

Le Chef d’État-major était le Colonel Maitrot, devenu général et écrivain militaire connu. Je reçus le meilleur accueil et n'eus qu'à me féliciter de mon nouveau poste. Je m'installai à Châlons en garçon, laissant ma famille à Paris pour le motif suivant : avant de prendre sa retraite, le Général Faure-Biguet avait obtenu du Général Florentin, Grand Chancelier de la Légion d'Honneur, la promesse de me prendre auprès de lui dès que le poste de Chef de Cabinet deviendrait vacant. Persuadé que cet espoir se réaliserait bientôt, je ne voulais pas entreprendre un double déménagement. Je venais voir fréquemment ma famille qui continua son existence laborieuse au milieu de nos relations.

Le Commandant Etienne accompagne le Général Florentin à une inauguration aux Tuileries
 Le 25 mars, nous eûmes la douleur de perdre Mme. Vve. Édouard Vidil, née Hippolyte Salviany, propre tante de ma femme, chez qui cette dernière vivait avant son mariage. Mme. Vve. Édouard Vidil était une femme d'une distinction remarquable, d'une bonté et d'un jugement parfaits, faisant le plus noble, le plus généreux et le plus généreux usage d'une fortune considérable. Elle habitait 2 rue de France, 1er étage. Sa mort fut une très grande perte pour les pauvres de Grenoble et pour toute sa famille.

J'ai aussi à relater une bien cruelle épreuve pour une famille déjà douloureusement frappée. Notre cousin Louis Capdepon, négociant à Lyon, mourut subitement au mois de mai à l'hôtel Central de Paris où il était de passage. On se rappelle que sa femme, Marie Capdepon, était morte subitement en 1898. Capdepon laissait cinq enfants orphelins dont aucun n'avait encore une position.

Ce fut au milieu de ces deuils et de l'incertitude de ma situation militaire que l'été se passa. En raison de ma conviction qu'un changement aurait lieu pour moi à l'automne, je donnai congé de mon appartement de l'avenue de Tourville le 15 juillet, et notre mobilier fut engerbé provisoirement dans un deux pièces du rez-de-chaussée du même immeuble.

Toute ma famille alla passer trois mois à Mondorf, petite station thermale du Grand Duché du Luxembourg, où Maurice la rejoignit. Ce furent des vacances très gaies, avec beaucoup de distractions et de relations nouvelles. Les miens firent des excursions charmantes, dont une à Trèves et l'autre à Metz.

Le 30 septembre, Maurice dut reprendre le chemin du Rondeau, en passant par Reims où il s'arrêta une demi-journée, et que je lui fis visiter. Il admira beaucoup la splendide cathédrale et la vielle église de St. Rémy.

Maurice, à 15 ans

Moi-même, le 8 octobre, je me rendis à Luxembourg pour ramener ma femme et mes filles. Nous y passâmes une journée et reçûmes une hospitalité écossaise chez Madame David. De là, nous partîmes pour Paris. Ma belle-sœur, Madame Keisser, nous avait retenu deux chambres dans une pension de famille très convenable tenue par Madame Poizat, 16 rue St. Romain. La nourriture y était bonne et la société bien composée. Ma famille y passa deux mois et, parmi les personnes présentes, elle se lia avec une jeune américaine, charmante, Miss Laure de Beauregard-Larendon, surnommée Doucette à cause de l'aménité de son caractère, d'origine canadienne française, l'un de ses ascendant direct étant le Général de Division de Beauregard, tué au Canada pendant la guerre de 7 ans. Son domicile était à la Nouvelle Orléans en Atlanta. Nous continuons à nous écrire fréquemment.

Le 10 décembre il survint deux événements importants, l'un heureux, l'autre triste.

En premier lieu, la place que j'ambitionnais à la Grande Chancellerie devint vacante et, sur la demande du Général Florentin, je fus nommé attaché à la personne du Grand Chancelier, pour entrer en fonctions le 25 décembre. Nous devions être logés au Palais même, gratuitement, dans un gentil pavillon qui fut aménagé très confortablement. Je quittai avec quelque émotion l’État-Major du 6° Corps où j'avais recueilli de nombreuses sympathies, ainsi que la ville de Châlons où j'avais été si cordialement reçu par les familles de deux camarades d’École, Monet, Ingénieur en Chef des Ponts et Chaussées, et Borgolz, Chef de Bataillon du Génie.

En même temps, je recevais à Châlons un télégramme de Grenoble m'annonçant que la santé de mon beau-frère Joseph Salviany, très précaire depuis un an, devenait très mauvaise et qu'on pouvait redouter un dénouement fatal. Ne pouvant m'absenter, je prévins Madame Keisser et ma femme qui se rendirent immédiatement auprès de leur frère, 2 cours St. André à Grenoble. Après huit jours d'angoisse, la crise fut conjurée. Mais il resta dans la circulation un caillot de sang qui se fixa dans la jambe droite du malade, au haut du mollet. Il fut impossible de s'en débarrasser et le membre flétrit. Il faudra se résoudre à lui couper la jambe, au mois de janvier.

Au mois de décembre, j'ai encore à signaler le mariage de notre cousin Antoine Clément, Greffier en Chef du Tribunal civil de Grenoble, avec Mlle. Marguerite Thorrand (1886-1918), fille de l'entrepreneur bien connu. Le jeune ménage eut cinq enfants, deux fils et trois filles.

Quant à nos fillettes, ma femme, en quittant Paris, dut abandonner la pension de famille et les mettre provisoirement pensionnaires au Cours Désir où elles suivaient des cours depuis la rentrée d'octobre. J'ai omis de relater qu'au mois de juin 1905, ma fille Magdeleine avait obtenu le Diplôme du Brevet simple, avec grand succès, au Cours Bertier qui ne préparait pas au-delà.

Le 26 décembre, j'allais chercher ma femme à Grenoble et la ramenais à Paris, Hôtel d'Orléans, rue Jacob, où nous descendions en attendant que les réparations de notre pavillon fussent terminées.



Année 1906


Quant à Maurice, les mathématiques continuaient à lui répugner fort et il aspirait à rentrer à Paris depuis qu'il nous y sentait définitivement fixés. Comment ne réussissait-il que médiocrement au Rondeau, bien qu'il eût fait de notables progrès dans la branche Littérature ? Alors, je me décidai à le rapprocher de nous dès le premier février, et à le mettre comme pensionnaire au Lycée Louis-le-Grand, toujours en classe de mathématiques.


Concernant nos enfants, je n'ai rien de particulier à signaler pendant la période scolaire. Ils allaient assidûment jouer au Luxembourg. Nous donnâmes une matinée dansante à leurs amis et amies.

Je ne veux pas laisser sous silence la mort de la cuisinière de notre famille, Marie Genon, dite Marie de Rives, décédée dans le courant du printemps à l'âge d'environ 77 ans. 


Entrée au service de mon père, Notaire à Rives, au moment de son mariage le 1er janvier 1855, elle ne savait ni lire, ni écrire, ni faire la moindre cuisine. En peu de temps, grâce à une intelligence et une application remarquables, elle devint excellente cuisinière et la plus dévouée des servantes. Elle rendit à ses maîtres des services inappréciables par son économie, son honnêteté, son savoir-faire merveilleux, ainsi que son tact pour recevoir les clients. Ayant vu naître et soigné tous les enfants de mes parents, elle nous tutoyait et nous morigénait, toujours pour notre plus grand bien. Elle faisait partie intégrante de la famille, partageait nos joies et nos peines. En 1881, à la mort de notre père, et en 1882, à la mort de notre mère, elle se prodigua pendant leurs douloureuses maladies. Nos deux jeunes sœurs restées seules, elle leur servit de chaperon, presque de mère. En 1885, ma sœur Gabrielle ayant épousé le Docteur Hermil, Marie entra à leur service à Grenoble. Après le décès du Docteur Hermil en 1891, elle continua ses soins dévoués auprès de sa veuve et de ses deux jeunes enfants. Elle accompagna ma sœur à Antibes, à Cannes et à Nice. Elle travailla jusqu'à son dernier jour et mourut après 57 ans et demi de services ininterrompus dans notre famille. Nous la pleurâmes, et mon plus grand regret fut de n'avoir pu obtenir pour elle l'une des récompenses du prix Monthyon, à l'Académie. Elle repose maintenant au cimetière de Nice. Elle avait voué son affection toute particulière à mon fils Maurice, quelle gâtait à outrance pendant les vacances. Elle avait réalisé de grosses économies qu'elle laissa à ma sœur, Madame Hermil.

Mme. Vve. Edouard Vidil, née Salviany
Au mois de juin, je représentai, comme tous les ans, le Grand Chancelier à la cérémonie de la Confirmation des élèves de St. Denis. J'y rencontrai pour la première fois Mgr. Amette, coadjuteur du Cardinal Richard. Je déjeunai en face de lui, à coté de la Surintendante, Mme. Ryckbusch, femme d'une haute distinction et d'une grande valeur. Au dessert, je levai mon verre en l'honneur du futur Cardinal avec qui je conserve toujours des relations très affectueuses. Mgr. Amette (décédé en 1920) joignait à un robuste appétit une affabilité exquise, un esprit d'à-propos et de répartie charmant, une facilité d'improvisation et d'élocution remarquable. Normand très fin, très libéral en même temps que très pieux, il savait faire aimer la religion. Il se prodiguait beaucoup de sa personne malgré un état de santé un peu précaire et jamais il ne manqua, quand il le put, de venir donner lui-même la confirmation à St. Denis, seul établissement de l’État où il pût pénétrer durant cette période si troublée pour l’Église. Il savait que la bouderie, cousine germaine de la rancune, n'est ni agréable à Dieu, ni habile auprès des hommes.

Dans les mêmes conditions, à Ecouen et aux Loges, maisons d'éducation de la Légion d'Honneur situées en Seine-et-Oise, je fis la connaissance du nouvel évêque de Versailles, Mgr. Gibier, prélat éloquent, libéral, plein de feu et de zèle. Chaque confirmation, pendant huit années, j'eus l'occasion d'admirer cet éminent prélat.

Le 25 juillet, eut lieu en l'église St. Jacques du Haut-Pas, le mariage de notre nièce Adèle Keisser avec le jeune Charles David qui venait d'obtenir le diplôme d'Ingénieur de l’École Centrale de Paris. Ma nièce avait 25 ans, son mari 24. Comme le père de la mariée était décédé quelques années auparavant, c’est moi qui conduisit Adèle à l'autel. La cérémonie fut suivie d'un déjeuner au café Voltaire, place de l'Odéon. La veille, j'avais donné un grand dîner à la maison. Les jeunes époux durent bientôt quitter Paris pour se rendre à Castres, où le jeune ingénieur allait accomplir une année de service, comme Sous-lieutenant au 9° d'Artillerie.


Les vacances approchaient. Comme nous n'avions pas vu ma propre famille depuis 2 ans, nous nous résolûmes de nous réunir dans une grande maison de campagne, à Arvillard (Savoie), tout près d'Allevard. Il régnait une sécheresse intense et une chaleur tropicale. Les vacances, néanmoins, furent excellentes dans ce pays très boisé où les points d'excursion abondent.

Nous avions décidé de mettre Maurice en 1ère B (Latin-Langues), les mathématiques n'étant décidément pas son fait. Mais la connaissance d'une langue vivante étant indispensable, Maurice choisit l'allemand qu'il étudia avec fruits sous la direction éclairée de son oncle, Théophile Lacuire.

Dans le courant de septembre, il survint à ma fille Magdeleine un accident qui aurait pu avoir de fatales conséquences dans ce pays désert de tout médecin sérieux. En courant avec ses cousins, elle arriva, sans y prendre garde, au sommet d'un talus de prairie très raide, fut entraînée par son poids tout le long de la pente et se reçut sur la tête en arrivant en bas. Il fallut la transporter à la maison pendant un assez long trajet, et elle resta plusieurs heures dans un coma inquiétant. Le médecin de La Rochette, appelé, n'y entendait pas grand-chose, et personne n’était bien expert dans la pose des sangsues. Enfin, Magdeleine s'en tira grâce à la vigueur de sa constitution, mais pendant 24 heures, elle resta plongée dans un hébétement absolu, ne cessant de répéter « je suis raide, je suis paf. »

Comme Arvillard était assez près de Tencin, nous allions parfois tenir compagnie à mon pauvre beau-frère Joseph Salviany, amputé, qui y possédait une petite maison de campagne.

Vers la fin septembre, nous eûmes la douleur de perdre ma tante, veuve de feu Auguste Etienne, le frère aîné de mon père, décédée chez sa fille Madame Émile Clément, 4 quai des Allobroges à Grenoble, à l'âge de 88 ans.

En octobre, Maurice rentra au Lycée Louis-le-Grand en 1ère B. C'était l'année de la première partie du Baccalauréat. Il y réussit très bien et occupa les premières places en composition française, en latin, et même en mathématiques. En histoire, il était très irrégulier, tantôt premier, tantôt dernier. Naturellement en retard pour les langues vivantes il prit d'excellentes leçons d'un répétiteur. Ses seules difficultés, comme toujours, furent avec les répétiteurs d'études pour qui il manquait de déférence et qui le lui rendaient en retenues.

Outre le tennis, il inaugura le régime des sports les jeudis et dimanches avec son ami Codet. Son premier pas eut lieu en novembre et il gagna un prix dans une course à pied. Il avait emporté de la maison un pantalon usagé qu'il coupa au dessus des genoux pour s'en faire une sorte de culotte sportive. On chercha longtemps le pantalon mystérieux, disparu. Puis, ce fut le tour du ballon ovale et bientôt notre fils acquit au rugby une réputation qui devait aller en grandissant encore.

Magdeleine continuait au Cours Désir sa préparation au Brevet Supérieur. Outre ses leçons de piano avec Mlle. Schaefer, elle suivait l'excellent cours de dessin de M. Yan d'Argent qui lui enseigna remarquablement les principes de l'aquarelle.

Vers le milieu de décembre, les nouvelles de la santé d'oncle Joseph redevinrent mauvaises et ma femme se décida à se rendre à Grenoble où elle descendit chez Édouard Vidil. L'état ne parut pas empirer, tout d'abord. Ma femme avait passé avec son frère toute la journée du 31 décembre, puis était allée dîner le soir en ville. Oncle Joseph s'était levé et avait tout organisé pour bien recevoir sa sœur, le lendemain, premier jour de l'an. Soudain, à 9h du soir, il se sent au plus mal et meurt au bout d'un quart d'heure des suites d'une congestion cérébrale, due sans doute à une embolie. Ma femme, avisée de suite, ne put arriver qu'après le décès.

Joseph Salviany

Année 1907


Les obsèques eurent lieu le 2 janvier, et le corps fut inhumé dans la sépulture Salviany, cimetière St. Roch à Grenoble. Charles David et moi étions présents.

Mon beau-frère était âgé de 47 ans, célibataire et rentier. Avec lui, disparaissait le nom de Salviany qui avait honorablement figuré dans la haute bourgeoisie grenobloise pendant plus de 100 ans. Joseph, bien que nous ne le vissions que rarement, laissa un grand vide chez nous. C'était le parent le plus rapproché de ma femme pour qui il avait été très bon pendant la période où elle était jeune fille orpheline. Son appartement ainsi que le mobilier qui le garnit, 2 cours St. André, 1er étage, appartiennent à ma femme. La famille Salviany, dont on trouvera ailleurs la généalogie, était, dit-on, originaire de Suisse, canton des Grisons.

Pendant nos deux jours d'absence, nos enfants, restés seuls à la grande chancellerie, furent recueillis par le Général et Madame Florentin qui les hébergeaient aux repas.

Madame Keisser, ma belle-sœur, se remaria après avec un jeune architecte de valeur, Bernard Haubold. Les ménages Haubold et David se fixèrent à Auteuil.


Le 25 mars, je fus promu Chef d'Escadron et maintenu comme Chef de Cabinet du Grand Chancelier.

Au mois de mai, nous eûmes la douleur de perdre notre tante Marguerite Mathieu, née Petignief, de Vienne (Isère). Elle avait épousé mon oncle Aimé, le plus jeune de nos oncles de Virieu, ancien maire de cette localité. Elle mourut des suites d'une opération dans leur villa de la promenade des Anglais à Nice. Elle jouait un rôle important dans la famille et laissa d'unanimes regrets. Du coté Petignief, elle avait huit neveux et nièces, les enfants Faure et Bizet. Elle est inhumée au cimetière de Virieu, sépulture Mathieu.

Nos deuils nous condamnèrent à quelque solitude. Puis, vint la période agitée des examens. Magdeleine inaugura la série des succès en enlevant brillamment son brevet supérieur. Quant à Maurice, il fur reçu à la première partie du baccalauréat, sans coup férir, au mois de juillet, avec des compliments pour sa version latine et sa composition française. Henri Codet avait été reçu en même temps que lui.

Pour la récompense de son succès, j'offris à Maurice une villégiature à Piriac (Morbihan) sur les bords de l'océan, où les Codet possédaient une villa. Mon fils y apprit à pédaler, à pêcher, à fumer et surtout à très bien nager.

Quant à nous, après beaucoup d'hésitations, nous partîmes le 2 août à Trégastel (Côtes du Nord) pour passer les mois de vacances à la Communauté Ste. Anne, sorte de très grand hôtel très bien aménagé. On y accédait par voie ferrée jusqu'à Lannion et, de là à Trégastel, par voiture hippomobile. Actuellement, la voie ferrée a été prolongée jusqu'aux portes de Trégastel. Le pays est magnifique et a été surnommé « la Côte de granit rose » à cause de la couleur des roches extraordinaires qui en font la principale curiosité. Les lieux d'excursion abondent et la pêche des crevettes roses est fructueuse. Il y a de très belles villas (celle de Mme. Alexandre Dumas, M. Reichenberg…). La Communauté, qui peut contenir environ 200 personnes, admises sur références soigneusement contrôlées, plaît beaucoup aux dames et jeunes filles à cause de la sécurité des relations.

Enfin, le voisinage de Ploumanach, de Perros-Guirec, de la Clarté, etc... rend cette station très intéressante. Nous nous y créâmes de nombreuses relations, dont les principales furent les familles de Marsy, Lumans, Vilette, Foiret, Fléchette etc. que nous retrouvâmes ici. L'établissement était administré par une ancienne religieuse ne présente, à son début, aucune particularité

Cette année là, les familles Hermil et Lacuire allèrent passer leurs vacances à Munich. Au retour, à Strasbourg, ma sœur Thérèse Lacuire fut atteinte, à l'hôtel, d'une crise cardiaque que l'on put maîtriser, mais qui pouvait donner lieu à de graves réflexions pour l'avenir.

La rentré scolaire n'intéressait plus notre fille aînée qui cultivait exclusivement le piano et l'aquarelle. Maurice commença sa classe de philosophie. Il travaillait avec modération mais plus, peut-être, qu'il n'y paraissait. Ses convictions le portaient certainement plus du coté du sport. Très grand, très leste, svelte en même temps que vigoureux, il réussissait à tous les jeux, et sa passion pour les exercices physiques l'a sûrement préservé de beaucoup d'écarts plus graves.

Le dernier trimestre de l'année s'acheva sans incident. Nous nous rendîmes à Grenoble pour assister à un service religieux en souvenir de l'oncle Joseph.

Simone à 9 ans

Année 1908

L'année 1908 ne présente, à son début, aucune particularité. Maurice se maintenait à un bon rang dans sa classe de philosophie. En juillet, il enleva la seconde partie de son baccalauréat avec une composition en philosophie qui lui valut les plus vifs éloges de l'examinateur.

Aussitôt après, départ pour la villégiature. Mon oncle, le Commandant Mathieu, veuf depuis peu, offrit l'hospitalité chez lui aux familles Hermil et Lacuire. Pour être tous réunis, je louai à Virieu la villa Annaquin, nom de son propriétaire, le médecin Inspecteur qui, décédé l'année précédente, l'avait léguée à sa veuve. C'était une maison bien comprise, avec un joli parc, dans une situation de choix. Maurice était des nôtre et, pour la récompense de son travail, je lui pris un permis de chasse. Je dois reconnaître qu'il réussit très médiocrement dans ce sport, qu'il abandonna bien vite. Nous reçûmes pendant une huitaine de jours à la maison ses amis Codet et Duru, qui étaient venus avec leurs parents passer leurs vacances sur les bords assez rapprochés du lac d'Aiguebelle.

Marcelle Hermil, Maurice Etienne, André Hermil, Magdeleine Etienne, à Virieu
 Ce ne furent que parties de plaisir, excursions, jeux et parties de boules chez notre oncle, bains dans le lac de Paladru. Après le départ de nos invités, l'oncle Aimé offrit à Maurice, André Hermil et Théophile Lacuire une superbe course dans les Alpes, à bicyclette (Gap, col du Parpaillon, Fort de Tournoux, vallée de l'Ubaye, Barcelonnette, etc.). Une autre fois, il leur fit faire le tour du lac du Bourget.

Jean Lacuire, Simone Etienne, Suzanne et René Lacuire, à Virieu
 De mon coté, j'avais conduit Maurice et ses invités à Grenoble, à la cascade de l'Oursière, au chalet de La Pra, et au grand Pic de Belledonne, superbe course qui fut gâtée par le mauvais temps.

Au mois d’août, j'allais avec tous les miens à Grenoble pour assister au mariage de Marie Vidil avec la Chef d'Escadron d'Artillerie Dessens, actuellement Général de Brigade dans le Palatinat.

Le 6 octobre, nous reprenions tous le chemin de Paris. Maurice se faisait inscrire à la Faculté de Droit de Paris. Il comptait partager son temps entre ces cours et ceux de l’École Libre des Sciences Politiques, école indispensable pour la carrière d'Inspecteur des Finances qu'il visait.

En dehors de ces occupations, il se fit inscrire au PUC (Paris Universitaire Club), association sportive récente de rugby (principalement) dont il devint rapidement le capitaine et l'As.

En octobre, le jeune Pierre Hanoteau, qui avait été reçu cette année dans un bon rang à l’École Polytechnique, était affecté (pour l'année 1908-1909) à un régiment d'Artillerie de Bourges afin d'y accomplir l'année de service réglementaire et y perdre une année plus fructueuse ailleurs. Il devait en sortir Maréchal-des-Logis.

L'automne fut très calme. Magdeleine faisait de notables progrès en aquarelle, et en piano également, depuis qu'elle prenait des leçons de cet instrument chez une excellente maîtresse d'Auteuil, Madame Billa.

Quant à Simone, elle travaillait bien au Cours Désir, où elle occupait un des premiers rangs de sa classe. Le 31 mai, elle avait fait sa première communion au Cours, sous la direction de l'Abbé Méresse, avec un certain nombre d'excellents amies, Germaine Arbel, Céline Aman-Jean, Marie-Thérèse Coriton, etc...


Année 1909

Nous avons d'abord à enregistrer la mort regrettable à tous les points de vue de M. Yan d'Argent, l'excellent artiste et le consciencieux professeur d'aquarelle de Magdeleine, qui lui doit ce qu'elle a fait de mieux en peinture. Après son décès, ma fille alla pendant quelques mois chez une autre artiste, Blanche Odin, médaillée de la Société des Artistes Français, qui produisait des œuvres assez intéressantes, mais dont le genre de peinture ne plaisait pas à Magdeleine. Celle-ci suivit alors les cours de Mlle. Jeanne Dangon, 25 quai de Grands Augustins, et par intermittence ceux de Filliard, chez Mme. Vve. Yan d’Argent, rue de la chaise. Filliard était un aquarelliste des plus remarquables, mais il se désintéressait un peu des élèves.

Maurice travaillait très bien à l’École des Sciences Politiques, section financière, qui était tout à fait dans ses aptitudes. Il avait d'excellentes notes dans ses examens bimensuels. Désireux de faire partie d'un club de sport d'un ordre plus relevé, il se fit inscrire au Stade Français, et fut de suite connu comme un des As du 15 Supérieur de Rugby. Il se trouvait un emploi intéressant de ses après-midi du dimanche. Il allait matcher avec des équipes en province, à Bordeaux, Toulouse, Bègles, Lyon, etc. et revenait parfois avec quelque contusion grave, entorse, épaule luxée, visage en capilotade. Mais cela ne diminuait en rien son ardeur et, grâce à son habileté au jeu, il devint demi d'ouverture, poste capital dans l'équipe.

Maurice fréquentait toujours Henri Codet et sa famille. Il se lia avec Jean Poisson, étudiant en médecine, neveu de M. René Quinton, fils d'un capitaine d'Artillerie breveté de grande valeur, mon ancien camarade de l’École Polytechnique, malheureusement décédé jeune par suite de tuberculose. Madame Vve. Poisson s'était retirée avec Jean dans une jolie propriété de Meudon, rue des galons, et y donnait de bonnes réunions auxquelles nos enfants étaient conviés. Jean Poisson, après s'être marié jeune le 15 mars 1913 devait mourir le 13 octobre 1920 de la même maladie que son père, laissant 3 enfants en bas âge.


Au mois d’août, j'envoyai Maurice passer deux mois en Angleterre afin de se perfectionner dans la connaissance de la langue étrangère exigée pour ses examens. Il fut reçu chez M. Ogle, Pasteur protestant à Teignmouth, Bishop's Erington Vicarage. Il y passa des vacances très agréables, très nouvelles pour lui, et fit de rapides progrès dans la langue anglaise. Je dus lui envoyer son habit pour lui permettre de dîner le soir n’importe où, suivant le mode d'Angleterre. Il apprit aussi à prendre un bain à chaque changement de costume dans la journée.

Pendant ce temps, ma femme et mes filles allaient passer un mois très agréable à Virieu chez notre oncle Aimé qui nous avait gracieusement invités. Ce fut pendant leur séjour qu'eut lieu la catastrophe ci-après…

Le 3 août, Jean et Élisabeth Capdepon, nos cousins, accompagnés d'un touriste étranger, quittaient le refuge de la Bérarde, dans l'Oisans (Isère), pour faire l’ascension si dangereuse de la Barre des Ecrins. Tout se passa bien dans la montée. Mais à la descente, la chute de l'un des excursionniste entraîna les deux autres dans le couloir des Ecrins à une effroyable glissade de plus de 500 mètres. Au bas du glacier, on trouva les cadavres affreusement mutilés de Mlle. Capdepon et du touriste étranger. Quant à Jean Capdepon, quoique sérieusement blessé, il eut la force de rentrer à la Bérarde, au prix de mille souffrances, et d'aller chercher du secours pour ses malheureux compagnons.

Élisabeth était une charmante jeune fille âgée de 26 ans. Quant à Jean, alors dans sa 29ème année, il devait trouver plus tard une mort glorieuse en Alsace, comme Lieutenant de Chasseurs Alpins.

A la fin d’août, je vins chercher ma femme à Virieu pour la conduire à Béziers, chez les Robert. Nous passâmes par St. Marcellin (Isère) où villégiaturaient nos parents Hermil et Lacuire. Ma sœur Thérèse souffrait d'une grave affection cardiaque, qui la condamnait au lit. Nous restâmes trois jours avec eux. En arrivant à Béziers, le grand omnibus (déjà mentionné) des Robert nous attendait à la gare et nous conduisit à leur propriété de La Tour d'Orb.

Cette propriété, jadis inculte, enfouie dans les sables et les hautes herbes, avait été défrichée par Robert et plantée en vignes. Elle était devenue un magnifique vignoble de 60 hectares, en plein rapport, avec une grande façade sur la mer, produisant annuellement ses 4000 hectos. Robert y avait créé, en outre, à force de persévérance et malgré les déboires dus au vent marin, un beau parc invraisemblable dans ce sable.

Nous y passâmes un mois de septembre délicieux, dans l'abondance de toutes choses et entourés de mille soins. La plaie de La Tour de l'Orb, ce sont les moustiques qui ne font jamais grève. Pour pouvoir dormir, il faut garnir à demeure les fenêtres d'un treillis en fer à réseau très fin.

Le 27 septembre, nous rentrâmes à Paris par l'itinéraire Toulouse, Lourdes, Pau, Biarritz, Bordeaux. Ce fut un voyage splendide et du plus haut intérêt. Lourdes surtout, vu au milieu d'un pèlerinage breton, nous produisit un grand effet.

A Paris, en même temps que nous, arriva Maurice, complètement rasé, à la tête de veau, selon la mode anglo-saxonne. Il avait heureusement passé en juillet ses examens de 1ère année de baccalauréat en droit, et se préparait à une grosse année de travail à l’École des Sciences Politiques.

Le 2 septembre, nous avions appris une heureuse nouvelle. Mon neveu André Hermil, après deux années de préparation à l’École Polytechnique, dans le lycée de Nice dont il avait été un brillant élève littéraire, venait d'être reçu Major, à l'âge de dix-huit ans. Avant d'entrer à l’École, il allait faire son année de service au 2° Régiment d'Artillerie, à Grenoble.

Quant à Pierre Hanoteau, il quittait Bourges en octobre pour entrer à l’École Polytechnique.
Pierre Hanoteau
L'automne 1909 se passa dans le plus grand calme.

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