samedi 14 mai 2016

1910-1914 : du mariage de Magdeleine à la mobilisation générale

Maurice ETIENNE

Sous-Lieutenant au 367ème Régiment d'Infanterie


Chapitre V

1910-1914 : du mariage de Magdeleine à la mobilisation générale


Année 1910


L'hiver débuta mal pour ma sœur Thérèse. Elle fut même à deux doigts de la mort et dut être administrée, mais elle s'en tira cette fois encore, grâce à sa robuste constitution originelle.

L'hiver fut marqué, en janvier, par un des plus violents cataclysmes dont l'histoire moderne fasse mention. Les pluies ininterrompues de l'automne avaient tellement saturé le sol que leur continuation en janvier amena des crues énormes de la Seine et de ses affluents. Les eaux débordées envahirent Paris et les environs avec une violence inouïe. Au Palais de la Légion d'Honneur, situé sur les bords mêmes de la Seine et en l'un des points les plus bas de la capitale, nous fûmes les premières victimes. En outre, la voie ferrée souterraine de l'Orléans, qui débouche au Palais d'Orsay, formait un magnifique canal qui alimentait abondement la crue. Enfin, le 28 janvier, un vendredi, la Seine et tous ses tributaires syndiqués s'entendirent pour produire un maximum de crue, qui battit tous les records connus, même celui de 1740. Notre pavillon était depuis plusieurs jours bloqué de tous cotés par plus de trois mètres d'eau. Des geysers improvisés avaient fait sauter toutes les bouches d'égout et les regards souterrains. 



Nous ne pouvions sortir qu'en barque ou par un haut pont en planches dressé par dessus les balustres du jardin. Le gaz et l'électricité avaient été coupés depuis le début. L'eau avait envahi notre escalier et n'était plus qu'à 50 centimètres au-dessus du parquet de notre chambre du premier étage. Des sortes de pirogues, montées par des marins de Cherbourg, croisaient dans le cour d'Honneur et sous les colonnades du Palais. Pour sortir et gagner le pont de fortune en planches, il fallait passer par les toits. On nous distribuait le pain et les vivres, ainsi que le courrier, par un service de bateaux. Bref, rien ne peut donner une idée des angoisses de ces heures, d'autant plus que la température était basse et que le chauffage était des plus précaires, les provisions de bois et de charbon ayant été noyées. Les inondations durèrent près de quinze jours, jusqu'à ce que les dernières nymphes de la Seine aient définitivement replongé dans les égouts. Une foule de parisiens avaient déserté, mais nous crûmes devoir rester à notre poste, plus pénible, en somme, que périlleux, pour ne pas paraître céder à la panique générale. Mais le souvenir de Paris transformé en petite Venise ne manque pas d'intérêt.



Après le retour à la vie normale, Maurice continuait à avoir d'excellentes notes aux examens de l’École des Sciences Politiques. Quant à Magdeleine, je la menai au splendide Bal de l'Association des anciens élèves de l'X, au Continental. Nous ne rentrâmes qu'à six heures du matin, après un cotillon des plus animés.

Au mois de juillet, l'état de santé de ma sœur Thérèse nous incita à nous réunir tous en vacances, dans un coin du Dauphiné. Le lieu choisi fut une belle et spacieuse propriété, avec un parc de trois hectares, situé à Chatte (Isère) aux environs de St. Marcellin. C'est près de là que se trouve St. Lattier, lieu de naissance de mon père, et la propriété de famille de l'Olivier, aliénée par nous au printemps 1891. La maison louée à Chatte appartenait à Mlle. Brun.

Nous pensions que le grand air, la salubrité du lieu et les distractions de la famille soulageraient ma pauvre sœur. Mais au bout d'un mois et demi, l'amélioration attendue ne s'étant pas produite, il fallut transporter la malade à Grenoble, chez madame Émile Clément, pour avoir sous la main un médecin compétent. A la fin de septembre, on la ramena à Nice et nous ne devions plus la revoir. Cet événement attrista vivement les vacances, malgré notre plaisir de revoir le pays de nos pères.

Je dois signaler, le 25 août, un baptême solennel, suivi d'un grand dîner, Villa des Allobroges, 4 quai du même nom, à Grenoble chez Mme. Émile Clément, à l'occasion de la naissance du jeune Jean Clément, fils d'Antoine, greffier en Chef du tribunal civil.

Le 10 septembre, ma permission expirée, je rentrai à Paris en passant par le Jura. Car mon chef, le général Florentin, possédait une superbe propriété d'environ 300 hectares nommée La Buchille, dans la commune de Pont-du-Navoy, non loin de Moret, et il m'avait invité à m'y arrêter au retour. J'y fus reçu avec la plus grande cordialité par Madame et mademoiselle Florentin (actuellement Madame Cotelle). La propriété, entourée par l'Ain qui lui sert de limites, a des bois magnifiques.

Quant à Maurice, il avait passé avec succès ses examens de deuxième année de droit en juillet. Il n'était pas allé à Chatte, mais à Londres, où pendant deux mois il avait fait un bon travail en langue anglaise.

A Chatte, nous ne manquions pas de relations. A St. Marcellin même, résidait M. Gustave Lacuire, frère de Théophile, percepteur dans cette ville. Un de nos cousins germains, Louis Commandeur, ingénieur à Bourgoin, qui se manifestait rarement, vint nous voir. Enfin, M. Robert et sa fille Magdeleine passèrent par Chatte au retour d'un voyage d'agrément en Suisse et Autriche-Hongrie.

En octobre, les miens vinrent rejoindre leurs quartiers d'hiver rue de Lille. Nos enfants reprirent leurs cours dans les mêmes conditions que précédemment. Maurice, qui s'était déplacé pour un match de rugby à Bayonne, fut ramené soutenu par deux co-équipiers avec une belle entorse qui le condamna à l'immobilité pendant trois semaines.

André Hermil, ayant terminé son année de service, entra à l’École Polytechnique au mois d'octobre et s'y comporta brillamment. Nous eûmes le plaisir de le recevoir fréquemment chez nous. Il sortit ingénieur des Ponts et Chaussées, puis fit la guerre de 14-18 contre l'Allemagne où il fit montre de beaucoup de courage et d'endurance comme Capitaine du Génie : Croix de guerre pour une action d'éclat devant Saint-Mihiel. Nommé Ingénieur de Ponts et Chaussées à Marseille en novembre 1919, il épousa en septembre 1920 dans cette ville une charmante jeune fille, Mademoiselle Andrée Giraud, fille d'un ancien Polytechnicien, Directeur des raffineries Saint-Louis à Marseille.

André Hermil, Major pour l'Ecole Polytechnique en 1909

Revenons à décembre 1910, pour recevoir Mlle. Robert qui vint passer six semaines chez nous. A cette époque, par suite de la mévente des vins blancs, Robert utilisait les siens à en faire une sorte de mousseux, très agréable au goût, qu'il avait baptisé Mounéry, du nom de la parcelle de vigne qui fournissait le raisin. Notre ami nous en envoyait gracieusement avec une grande prodigalité, sans compter les bordelais de son excellent vin d'Ouveillan.


Année 1911

Vers la fin janvier, j'accompagnai les deux Magdeleine au bal de la Société des anciens élèves de l’École Polytechnique, à l'Hôtel Continental. Ma fille conduisait un cotillon.

En avril, la santé de ma sœur Thérèse se mit à décliner de manière inquiétante et, enfin, ma pauvre sœur s'éteignit, le 1er mai, emportée par l'affection cardiaque dont les premiers symptômes s'étaient manifestés chez moi, pendant son séjour à Versailles en 1891-92. Ce fut une grande douleur dans toute la famille, pour moi notamment qui avait été son tuteur. Elle avait 42 ans et quatre mois à peine révolus, et laissait trois enfants mineurs, savoir : Suzanne (17 ans), René (15 ans) et Jean (11 ans).

Je vins rendre les derniers devoirs à ma pauvre sœur qui fut enterrée dans le cimetière de Nice. C'était une charmante jeune femme, très bonne, d'un caractère vif et gai, très intelligente, très active, toute entière à ses devoirs d'épouse et de mère. Ses trois couches, très laborieuses, avaient contribué à ébranler sa santé. Elle formait avec son mari un couple très uni et elle ne cessait de me répéter qu'elle avait toujours été parfaitement heureuse dans son intérieur. Elle avait très bien su diriger l'éducation de ses jeunes enfants qui, jusqu'ici, ont très bien réussi. Thérèse, élevée au Couvent de la Visitation de la Côte St. André (Isère) était très religieuse et d'une piété très éclairée. C'était, en résumé, une belle âme, enlevée trop tôt à la terre et qui mérite l'éternelle récompense.

 
Mme. Théo Lacuire, née Thérèse Etienne

Au mois de juillet, Maurice passa dans de bonnes conditions ses examens de sortie de l’École des Sciences Politiques, examens longs, difficiles et entourés d'une certaine solennité. Il avait à lutter contre des concurrents sérieux, la plupart sensiblement plus âgés, plusieurs déjà Docteurs en Droit. Il fut classé 17ème sur 150 candidats, avec de très bonnes notes, et obtint naturellement le diplôme.

Il devait passer, huit jours après, ses examens pour la Licence en Droit, mais par suite de surmenage il dut s'aliter et remettre cet examen à la période de service militaire qu'il devait inaugurer au mois de novembre suivant.

Les vacances étaient arrivées et, à la demande de nos enfants, nous allâmes pour deux mois à la Communauté Ste. Anne, à Trégastel, comme en 1907. Il y avait une quantité considérable de jeunes gens et de jeunes filles, d'âges correspondant à ceux de nos enfants. 

Trégastel : 1 - Maurice 2 - Simone 3 - Magdeleine


Les vacances furent très animées. Bains, tennis, excursions en barque, à pied ou autocar, jusqu'à Morlaix, Île Bréhat ou Châteaux Bretons, ce fut une série ininterrompue de distractions. Parmi les amis de Maurice, se trouvait Marco de Gastyne, premier grand prix de Rome de 1911 pour la section de peinture. Mon fils ayant été proclamé champion de tennis de Trégastel (Hommes), Marco, en guise de prix, fit de lui une esquisse que nous conservons religieusement encadrée dans notre salon. Quant à Magdeleine, elle fut déclarée champion dans la section Dames.

Magdeleine et Maurice Etienne à Trégastel en 1911

Pendant que nos enfants s'amusaient, j'étais rentré à mon poste et je m'occupais de l'affectation de Maurice à un Régiment. Comme il avait passé avec un nombre de points satisfaisant l'examen de la Société de Préparation Militaire, je pus obtenir qu'il accomplit ses deux années de service à Paris, au 103° Régiment d'Infanterie caserné à l’École Militaire, ce qui nous le laissait à deux pas de la maison.

Trégastel, adaptation des Martyres de Chateaubriand : 1 - Maurice 2 - Simone

Nous eûmes donc la satisfaction, que nous apprécions davantage encore maintenant, de le voir fréquemment. Il obtint l'autorisation de prendre chez nous la plupart de ses repas, surtout ceux du soir, et comme le nombre de lits était insuffisant à la caserne, de revenir coucher dans sa chambre. Pendant ce temps, il suivait le peloton des élèves-caporaux où il était très bien noté ; et il n'était jamais puni, ayant entièrement gagné les sympathies de ses chefs.

Magdeleine, à la rentrée, commençait à faire des aquarelles agréables et Simone travaillait assidûment à la préparation de son Brevet du premier ordre. Du fait que nous étions en deuil, l'hiver se passa très paisiblement. Comme visiteurs, nous avions nos deux polytechniciens, André Hermil et Pierre Hanoteau, tous les deux accueillis avec plaisir.

Maurice au service militaire 1911-13


Année 1912


Je crois devoir signaler les divertissements périodiques auxquels nous étions conviés pendant notre séjour à la Grande Chancellerie.

A l’Élysée, le Président donnait deux grands bals en janvier et un garden-party autour du 14 juillet. Au Ministère de la Guerre, un garden-party le 13 juillet. A la Grande Chancellerie, un bal très sélect et très recherché en avril ou mai, puis une grande vente de charité où nos filles étaient vendeuses, en décembre. Cette vente était précédée d'un grand déjeuner offert par le Général et Madame Florentin aux Intendants et leur État-major des Maisons d'éducation de la Légion d'Honneur. Enfin, pendant l'hiver, à la Grande Chancellerie, un grand dîner ministériel et diplomatique. Réceptions et dîners, tout y était remarquablement bien.

Un certain nombre d'élèves de nos maisons, choisies parmi les plus sages et les plus gracieuses, étaient invitées aux garden-party ci-dessus, à raison de 40 de St. Denis, 20 d'Ecouen et 20 des Loges. Leur costume, délicieusement vieillot, datant de Madame Campans, c'est à dire de plus d'un siècle, avec leurs bretelles multicolores, avait toujours beaucoup de succès. Elles ne manquaient de danseurs empressés, ni parmi les élèves de l’École Polytechnique, ni parmi ceux de St. Cyr.

André et Marcelle Hermil

Marcelle Hermil vint passer un mois à la maison en mars. Au moment de son départ, c'est à dire vers Pâques, il se produisit un événement important pour la Société et pour nous. Madame Hanoteau, femme du Colonel commandant le 5° Régiment du Génie à Versailles, nous écrivit de Prudhomme, nom de leur propriété près de Décize dans la Nièvre, à l'effet de nous demander la main de notre fille Magdeleine pour leur fils Pierre. Les jeunes gens se connaissaient depuis longtemps, ayant été pour ainsi dire élevés ensemble, et ne semblaient pas se déplaire. La réponse n'était pas douteuse. Mais comme le jeune officier devait suivre pendant quatre mois encore les cours de l’École d'Application du Génie de Fontainebleau, il fut convenu que les fiançailles auraient lieu pendant les vacances, à une date astronomique comme il convient entre X, le 21 septembre. Pierre prendrait ensuite pied dans le Régiment, et les justes noces se feraient le 21 novembre suivant, soit à deux mois d'intervalle.

De ce fait, notre vie calme se transforma radicalement et céda la place à une joyeuse agitation due aux multiples complications qui entourent les préparatifs d'un mariage. Naturellement, Pierre venait souvent à la maison ; sa famille tenait garnison à Versailles, en sorte qu'on avait toutes facilités pour combiner les détails. Ainsi, l'été passa avec une rapidité inconnue et il ne fut pas question de villégiature lointaine. Les vacances se passèrent dans la superbe propriété des Hanoteau, Prudhomme, à six kilomètres de Décize, d'une superficie de 130 hectares, avec un spacieux et confortable habitat.

Avant d'arriver aux fiançailles, je dois mentionner le succès de Simone qui enleva brillamment son diplôme du Brevet élémentaire, au mois de juin, à l'âge de quinze ans à peine révolus.

De son coté, Maurice, qui appartenait à la 7° Division commandée par le Général Roques, fut choisi par cet officier général, ami de la famille, comme son caporal-chef des secrétaires. 

 
Maurice et ses secrétaires


Ce nouveau poste augmenta encore l'indépendance de mon fils, qui put ainsi prendre tous ses repas et coucher à la maison. Nous eûmes d'ailleurs beaucoup à nous louer du Général Roques, devenu plus tard Commandant de Corps d'Armée et Ministre de la Guerre. Il mourut prématurément au Val de Grâce en 1919.


Le 21 septembre, toute la famille était réunie à Prudhomme pour les fiançailles qui donnèrent lieu à une superbe fête. Outre le Colonel Hanoteau, sa femme et leur second fils André, on remarquait les fiancés, M. Jean Hanoteau, frère du Colonel, sa femme et ses deux enfants, le Colonel Dufour et sa famille, divers parents des environs, ma femme, mes enfants et moi.

Pierre, mon futur gendre, venait de sortir de l’École de Fontainebleau, bon premier de la promotion du Génie, et avait été classé à Versailles dans le régiment de son père, auquel d'ailleurs de prochaines étoiles avaient été promises. Tout conspirait donc en faveur des jeunes fiancés et il fut facile de leur trouver un appartement, puis de le meubler confortablement, ce dont Madame Hanoteau mère et Colonelle s'acquitta avec beaucoup de générosité et de dévouement.

Je ne remémorerai pas tous les préparatifs, tous les soucis inhérents à un mariage. Le contrat fut fixé au mardi 19 novembre, le mariage civil au mercredi 20 dans le 7ème arrondissement, et la cérémonie religieuse au jeudi 21 en la basilique Sainte Clotilde.

 
Pierre & Magdeleine sortant de la Basilique

Il fut décidé que nous donnerions un grand dîner de 70 couverts au palais d'Orsay le mardi 19 et que le lunch, suivi d'un dîner assis pour le cortège, se ferait au même endroit le jeudi 21, après la Bénédiction Nuptiale.

Mme Maurice Hanoteau, le Commandant Léon Etienne, le Colonel Maurice Hanoteau

Du coté de notre famille, les Vidil s'abstinrent totalement. Mon oncle, le Commandant Mathieu, Mme. Émile Clément, M. et Mme. Antoine Clément, Albert Gonnet, la plupart de nos neveux et nièces furent fidèles au rendez-vous. Le Grand Chancelier de la Légion d'Honneur, Madame et Mlle. Florentin, le Colonel et Madame Anthoine, des amis, acceptèrent notre invitation, ainsi que Louis Robert, de Béziers et sa fille Magdeleine.

Mme. la Gnénérale Anthoine, le Commandant Faure, Simone Etienne

Du coté des Hanoteau, près de quarante invités dont les très proches parents, puis leur cousin M. René Doumic, de l'Académie Française, avec Madame, le Général et Madame Mauduit, des amis, l'Ingénieur Général de la Marine Lhomme et son fils, etc... ainsi qu'un certain nombre d'officiers amis ou chefs directs de Pierre.

 
Madame Jean Hanoteau, le Général Florentin

Nous fûmes royalement traités au Palais d'Orsay. Quant à la cérémonie religieuse, on se la représente dans le cadre imposant de la Basilique, au milieu d'un concours énorme d'amis. Le discours, très émouvant, fut prononcé par le premier vicaire, l'Abbé Colombel. Les témoins furent : pour Magdeleine, le Général Florentin et le Colonel Anthoine ; pour Pierre, ses oncles M. Jean Hanoteau et le Commandant Faure.

Le Général Florentin, le Capitaine Jean Hanoteau

Les jeunes mariés nous quittèrent vite pour se rendre dans leur appartement de Versailles et, de là, en Italie.

J'eus le profond regret de n'avoir pas autour de nous, pour cette belle fête, ni ma sœur Madame Gabrielle Hermil, ni mon beau-frère Lacuire, empêchés l'une par son état de santé, l'autre par un deuil cruel.

Suzanne Lacuire et Marcelle Hermil, ainsi que Magdeleine Robert restèrent un certain temps à la maison après le mariage.


Année 1913


Ce fut une année calme. Déjà pesait sur nous le sentiment de notre prochain départ de l'Armée. Je reçus la rosette de l'Ordre d'Assouan et d'Orange-Nassau (Pays-Bas). Je fus nommé Officier d'Académie et inscrit au tableau de concours pour Officier de la Légion d'Honneur.


Au mois de juillet, Maurice fut reçu Licencié en Droit avec d'excellentes notes. Un de ses examinateur, M. Brouilhet, me dit que sur la partie financière, il avait été extrêmement brillant.

Les vacances arrivées, je restai à Paris, en raison de mon prochain départ de la Grande Chancellerie, mais ma femme et ma fille Simone allèrent passer un mois à Trégastel, pour la dernière fois. Je profitais de mon veuvage pour rechercher des appartements et je fus assez heureux d'en trouver un, 4 avenue Perrichont prolongée, à Auteuil. Le choix de ce quartier m'était dicté moins par l'air vaguement plus pur que par la proximité de quelques membres de notre famille, les ménages Haubold et David. Cet appartement neuf était sis au 1er étage et comprenait : grand salon, petit salon, salle à manger avec office, trois chambres de maître, deux chambres de bonne, une salle de bains, cuisine, diverses dépendances et vaste antichambre, le tout commode, confortable, moderne et bien éclairé.

Ce fut le 12 septembre que nous dîmes adieu à la Grande Chancellerie où nous avions passé près de huit années, dans les meilleures conditions d'intérêt et de confort. Nous étions non seulement logés gratuitement, mais encore chauffés, éclairés et dotés d'une foule d'aubaines. Je ne serai jamais trop reconnaissant au Général Florentin et à sa famille de tout ce qu'ils ont fait pour les miens et pour moi. Je regrettai vivement mon bureau, le travail intéressant et instructif auquel je m'y livrais, surtout au point de vue de la connaissance du cœur humain. Je regrettai aussi les membres distingués du Conseil de l'Ordre, le maître Bonnat, les généraux Mensier, Marchand et Dubois, le Premier Président Forichon, le Président au Conseil d’État Dislère, etc. avec qui j'avais, de par mes fonctions, des rapports incessants.

Le Palais, avec ses colonnades et sa magnifique rotonde, me rappelait d'inoubliables souvenirs, soit pour les belles réceptions, soit par les superbes dîners, soit par l'heureux mariage de ma fille Magdeleine. J'avais été admis à la retraite le 12 août 1913.

Commandant Léon Etienne, Chef d'Escadron d'Artillerie

L'emménagement ne fut pas trop laborieux. Le confortable appartement dans lequel nous nous installions adoucit nos regrets de quitter le 64 rue de Lille, bien que, en raison de l'excentricité du quartier d'Auteuil, l'obligation permanente de recourir à des moyens de locomotion en commun présentât de sérieux inconvénients. En outre, nous connûmes de nouveau l'heure douloureuse du terme. En compensation, un peu plus d'oxygène et le voisinage du Bois de Boulogne.

Vers le 25 septembre, alors que les derniers bibelots prenaient leur place, Maurice, qui était de la classe, vint s'installer définitivement chez nous et il fallut s'occuper de sa situation car il allait avoir 23 ans. La première pensée fut d'utiliser ses connaissances financières pour le lancer dans un grand établissement de crédit. Je connaissais précisément un des Directeurs du Crédit Lyonnais à Paris, un grenoblois nommé Iweins, qui me mit en relation avec le Chef du Personnel, M. Walewski. Les offres les plus avantageuses furent faites à Maurice comme début de carrière. Mais, après réflexion, il préféra tenter l'examen de l'Inspection des Finances, où nous avions aussi des amis. C'était évidement une meilleure utilisation de son diplôme de Sciences Politiques. D'ailleurs, dans une visite que je fis à cette dernière école, le Secrétaire Général me donna des assurances flatteuses sur les chances de mon fils, et il est probable qu'elles se seraient réalisées sans l'affreuse guerre où Maurice donna sa vie pour son pays. Nous ne nous doutions pas alors que tant de travail, tant d'efforts aboutiraient à une tombe dans un village perdu de l'Argonne.

Donc, lorsque notre décision se fut arrêtée sur l'Inspection des Finances, Maurice dut se faire inscrire dans un groupe, on dit vulgairement une écurie, dirigé par un jeune Inspecteur-adjoint de la dernière promotion. Mon fils choisit comme entraîneur M. Jean du Buit, ancien élève de l'X, sujet des plus brillants, fils de l'ancien Bâtonnier de l'Ordre des Avocats de Paris. Les examens ayant lieu en mars, Maurice avait décidé de ne se présenter qu'en 1915, pour avoir le temps de se préparer convenablement. Il travailla avec beaucoup de conscience, aidé très utilement par un autre guide très sûr et plus ancien, M. de Vaugelas, également Inspecteur, qui avait épousé notre amie Rose Ramel, de Carcassonne. Tout permettait d'augurer un succès aux prochains examens, lorsque la guerre néfaste de 1914 éclata. Les Inspecteurs des Finances du Buit et de Vaugelas, ainsi que Maurice leur élève, devaient tous les trois, à la fleur de l'âge, mourir pour la France.


Année 1914


Cette année fatale débuta dans le calme, souvent précurseur de la tempête. Magdeleine avait suivi son mari, détaché à Chartres avec sa compagnie pour exploiter un tronçon de voie ferrée. Comme nous avions des billets de réduction à 90%, nous allions très souvent voir nos enfants et admirer la superbe cathédrale de cette ville.

Comme je l'ai dit, Simone avait été reçue au Brevet élémentaire en 1912. A la rentrée des classes, il avait été tout d'abord décidé qu'elle ne prendrait pas son Brevet Supérieur, mais se contenterait de se perfectionner en suivant la 6ème supérieure du Cours Désir. Elle aurait eu ainsi plus de temps pour étudier son violoncelle qu'elle travaillait depuis quelques années, avec succès, sous la direction éclairée de M. Kerrion, 1er violoncelliste solo à l'Opéra Comique. Mais Simone, entraînée par l'exemple de quelques amies intimes, voulut à toutes forces entrer dans la classe du Brevet Supérieur. Elle y réussit parfaitement et, au mois de juin 1914, le jour de ses 17 ans, elle conquit brillamment son diplôme. Elle eut même, pour sa dictée musicale, la note de 20/20, que ni Mozart ni Beethoven n'auraient pu dépasser. Peu après, elle obtenait le diplôme supérieur d'enseignement du Cours Désir. Ses classes étaient terminées et elle n'eut plus qu'à se perfectionner par l'audition de quelques conférences littéraires et historiques et à suivre des cours d'anglais pour lesquels elle obtint une haute récompense.

Le 1er mai, notre ami Robert maria son fils Georges avec Mlle. Suzanne Boubal, fille d'un Avoué de Perpignan, leur cousin. Je fis le déplacement pour assister à aux belles fêtes qui accompagnèrent cette cérémonie. De là, je revins à Béziers où je passai huit jours, choyé à merveille par la famille Robert. Ce ne furent que joyeuses parties. On ne se doutait pas du coup de foudre qui allait éclater deux mois après.

Partout en France, d'ailleurs, l'optimisme semblait prévaloir. Le rétablissement du service de trois ans, la plus grande facilité qui en résultait pour le recrutement des cadres inférieurs de l'armée, des récoltes qui s'annonçaient abondantes, un apaisement assez prononcé au point de vue social, tout faisait bien augurer de l'avenir, lorsque eut lieu l'assassinat de l'Archiduc héritier d'Autriche à Sarajevo par un serbe, au mois de juin. Par lui même, l'événement n'était pas de nature à amener fatalement une conflagration européenne, mais les suites prouvèrent la volonté évidente de l'Allemagne de saisir cette occasion d'en arriver à la guerre désirée.

Juin et juillet s'écoulèrent dans une tension diplomatique d'intensité variable mais ininterrompue. Pendant ce temps, Maurice était choisi comme capitaine de l'équipe première de Rugby du Stade Français. 

Maurice, Capitaine du Stade Français


Quant à René Lacuire, déclaré admissible à l’École Polytechnique, il vint à Paris le 20 juillet pour y subir les épreuves orales.

Mais les événements se précipitaient ….

Madame Léon Etienne, née Jeanne Salviany



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