Maurice
ETIENNE
Sous-Lieutenant
au 367ème Régiment d'Infanterie
Chapitre
VIII
1916 :
l'année
« Verdun »
Année
1916
2
Janvier
1916...
[suite résumée des lettres de Maurice]. Après
un joyeux réveillon de Noël à Nancy, il célèbre le Nouvel An à
la popote de sa compagnie, fête rehaussée par de nombreux envois de
Paris et de Grenoble (foie gras, chocolats, marrons glacés, fruits
confits, etc.).
Maurice à Nancy |
Le
1er
janvier fut amusant. A minuit, les Boches poussèrent des Hoch
colossaux et tirèrent une salve de crapouillots. Les Français ne
répondirent rien sur le moment. Mais à midi, ils bombardèrent en
règle un petit poste boche situé à 15 mètres de nos tranchées,
avec des coquilles d’huîtres et des carcasses de poulet
soigneusement raclées. Fritz n'osa pas se montrer tout d'abord. La
fête se termina par une dégelée de grenades (Citron Foug) afin
d'assaisonner les huîtres.
17
Janvier… Maurice obtient une permission de 10 jours que je viens
passer avec lui à Paris. Janvier et février passent lentement, par
un temps très froid, très humide ou neigeux, avec de grandes
souffrances pour tous ceux qui sont dans les tranchées, et les repos
sont rares au 368°. Les Boches montrent de l'activité et on est
constamment alerté.
15
Mars… Maurice rend compte avec une satisfaction bien légitime du
coup de main heureux qui valut à la 19° Compagnie du 368° les
honneurs du communiqué et une citation à l'Ordre de la Brigade
(voir citation in fine). Tout avait été préparé dans le plus
grand secret et la surprise du coté boche fut complète. Les poilus,
brillamment enlevés par les lieutenants Paulard et Etienne,
enjambèrent les parapets alors que notre artillerie tirait encore
sur les Boches terrés dans leurs cachettes. On fit de ces derniers
un grand carnage, et les tranchées ennemies furent enlevées et
nettoyées sur un front de 200 mètres.
Maurice
fut en outre l'objet d'une citation individuelle à l'Ordre de
l'Armée, car
il tua
de
sa main deux Boches, dont un officier, qui refusaient de se rendre,
et en fit un troisième prisonnier. Notre fils, cette fois, l'avait
échappé belle, car en pénétrant dans la tranchée ennemie, il fut
tiré à bout portant par un Boche qui avait simplement laissé son
fusil au cran de sécurité. Maurice eut le temps de l'abattre de
deux coups de revolver en pleine poitrine.
Le
Général Joffre, qui se trouvait près de là, envoya de suite et
directement ses félicitations à la Compagnie.
1er
avril… C'est la date du décès de mon oncle, le Commandant Aimé
Mathieu, né à Virieu-sur-Bourbe (Isère) en septembre 1839, ancien
élève de l’École Saint-Cyr, Chevalier de la Légion d'Honneur,
ancien maire de Virieu, mort subitement dans sa villa Marguerite,
Promenade des Anglais à Nice. Le plus jeune d'une famille de six
enfants, il avait tenu à conserver, bien que lui-même n'eût pas
d'enfants, l'antique demeure des Glénat à Virieu. On trouvera en
détail tout ce qui concerne cette famille et lui-même dans un album
où mon oncle en a fait un historique très intéressant. Son
intention était que cette propriété restât dans la famille, avec
une foule de meubles anciens et curieux objets de souvenir. Mais il
prit les dispositions testamentaires les plus directement opposées à
la réalisation de ce désir. On dut vendre les deux maisons, jardin,
parc, communs, etc... qui étaient depuis des siècles la demeure des
Glénat. Ce fut avec une grande tristesse que les héritiers se
résignèrent à cette solution. Mon oncle était un fervent du culte
familial. Sa maison était restée un temple, un centre où il aimait
à recevoir à tour de rôle tous ses parents. Il a consacré dix
années de sa retraite à reconstituer la généalogie des Glénat,
des Mathieu et des familles proches alliées.
Maintenant,
il repose au cimetière de Virieu, à coté de nombreux ascendants,
et sera probablement le dernier de la famille dans une région où
les noms de Glénat et
Mathieu étaient universellement connus et estimés. Les Mathieu à
Romans, les Commandeur à Lyon, les Etienne à Paris, Les Lacuire et
les Hermil un peu partout n'ont plus de point central de réunion.
6
Avril… Pour revenir à Maurice, il apprend que son ami Georges
Robert est près de lui, en face de Pont-à-Mousson, sur la rive
droite de la Moselle. Georges lui donne rendez-vous, mais Maurice qui
est dans les tranchées et qui commande sa compagnie, ne peut
s'absenter.
Sur la Moselle |
Les
permissions sont suspendues en raison des événements de Verdun
et le Service
Postal devient très irrégulier. Maurice, après ses dernières
citations, est désolé de rester encore Sous-lieutenant à titre
« dérisoire ».
21
Avril… Ils
sont au repos et Maurice se donne une entorse, ce qui l'oblige à
entrer à l'infirmerie. Cette vie monotone et inconfortable commence
à peser lourd.
24
Avril… C'est la fête de Pâques, mais combien triste. Ils ont eu
néanmoins leur messe en plein air. Maurice reçoit ce jour là des
paquets de chatteries de maman et des Robert, ce qui dissipe un peu
sa mélancolie.
1er
Mai… Il est affecté à la 4° Compagnie de mitrailleuses,
l'objet de ses plus ardents désirs.
Il y retrouve deux très bons amis, les lieutenants Pinot et Bussienne. Du fait de cette mutation, ses conditions d'existence se sont heureusement modifiées. Sur 24 jours, il passe 12 jours aux tranchées et 12 jours au repos.
Maurice et les autres officiers du Bataillon |
Il y retrouve deux très bons amis, les lieutenants Pinot et Bussienne. Du fait de cette mutation, ses conditions d'existence se sont heureusement modifiées. Sur 24 jours, il passe 12 jours aux tranchées et 12 jours au repos.
7
Mai… A coté de cette bonne aubaine, il a un sujet de désolation.
Son excellent ordonnance, le fidèle Pouteau n'étant pas
mitrailleur, n'a pu l'accompagner. Il est remplacé par un bon sujet,
d'une classe supérieure mais peut-être moins débrouillard, nomme
Bellouet, pépiniériste à Orléans. Pou le nettoyage, rien ne peut
remplacer
Pouteau qui brossait et astiquait tout et tout le temps, même les
chaussettes.
3
Juin… Le 368°, dont l'effectif a fondu, est dissous et le peu
qui en reste est réparti entre les 367° et 369°. Maurice est versé
au 367° et reste au Bois-le-Prêtre.
Poste d'observation en réserve |
14
Juillet… Notre fils voit sa permission remise aux calendes
grecques. La Division va quitter le Bois-le-Prêtre pour une
destination inconnue, mais la suppression des permes laisse supposer
que c'est Verdun, où la lutte continue, furieuse. La photographie
ci-après l'indique d'ailleurs.
Cuisine roulante en route pour Verdun |
17
Juillet… La Division, fatiguée, va décidément au repos,
écrit-il à sa mère. On va faire des sports, dont on a reconnu
l'utilité. En réalité, il est déjà près de Verdun. Les
permissions ne tarderont pas à être rétablies, et il pense pouvoir
prendre la sienne vers la fin du mois, ce qui se réalise, du reste.
9
Août… Il rentre en permission et il trouve sa nomination à titre
définitif. Comme la guerre traîne en longueur et
qu'on piétine sur place, il sent s'agiter le cafard.
17
Août… Maurice m'écrit pour me dire qu'en rentrant de perme il a
été acheminé sur Verdun avec sa Division. Le Général Lebocq, en
procédant à la reconnaissance du front, s'est fait amocher. C'est
un enfer de mitraille. Il tient Maman dans l'ignorance de la
situation.
3
Août… Il en fait part à Maman après les premiers grands
combats qui, en épargnant relativement le 367°, ont gravement
éprouvé le 369°. Il est sur les pentes de Vaux-Chapitre. Il est
trempé par des pluies continuelles et il y a gagné un gros rhume.
Il dort toutes les fois qu'il le peut, car il tombe de fatigue après
les effroyables luttes qu'ils ont eu à soutenir. On ne trouve rien à
boire que du Champagne qu'on fait venir de Bar-le-Duc.
Il
vient d'apprendre la mort glorieuse de Pierre Capdepon, presqu'un
enfant, il n'avait que 18 ans, tué dans la Somme, à Maurepas le 16
août comme Aspirant dans les Chasseurs à pied. Pierre, un véritable
héros, s'était engagé à l'âge de 17 ans pour venger son frère
Jean tué dans les Vosges, et avait fait un stage à l’École
Saint-Cyr. C'était mon neveu à la mode de Bretagne.
7
Septembre… Maurice est toujours dans le même coin, où il est
soumis à un marmitage intense. Le moral des poilus est étonnant et
on n'a plus de craintes à avoir du côté de Verdun. Il est vrai que
la grosse offensive de la Somme n'a pas peu contribué à cet heureux
résultat.
11
Septembre… Il quitte cet enfer et pousse un long soupir de
soulagement. Ouf, c'est fini. Le voilà maintenant au repos complet
près de Bar-le-Duc. Sa Division s'est admirablement comportée, sans
perdre un pouce de terrain. Elle a pris 1500 mètres de tranchées
près du Fort de Vaux, et fait de nombreux prisonniers, capturé
beaucoup de mitrailleurs. « Le
Boche n'existe plus »
dit-il dans son enthousiasme. Quant
à lui, il est resté un peu sourd après cette terrible canonnade
ininterrompue.
Pétain, le général vainqueur de Verdun |
19
Septembre… Pendant la relève, Maurice s'échappe en bombe et
vient passer deux jours auprès de sa mère à Paris. On leur avait
promis quinze jours de repos après Verdun, mais au bout de six jours
pendant lesquels ils furent embarqués deux fois, on les renvoya dans
les tranchées, non loin de Lunéville, vers
Rambermesnil-Aménoncourt, face à Avricourt, contre la forêt de
Paroy. C'était un secteur de tout repos, où il tombait un obus tous
les trois jours. On est à 1200 mètres des boches ; les
guetteurs sont assis à l'extérieur du poste, en fumant leur pipe.
Leur consigne est de veiller à ce que les boches ne viennent pas
faucher l'herbe dans l'intervalle neutre, ou y faire paître leurs
vaches.
Là,
il apprend que son cousin, le Lieutenant d'Artillerie René Lacuire,
vient d'être légèrement blessé, peut-être, dit Maurice, par un
éclat d'obus français. C'est que, depuis Verdun, il en veut à nos
artilleurs qui tiraient fréquemment sur notre Infanterie.
25
Septembre… Le secteur est toujours d'un calme parfait. On déjeune
en plein air, au clair et on se promène à toute heure sur les
parapets.
6
Octobre… Ils n'ont pas changé de secteur mais voici les premiers
symptômes de l'hiver et on patauge dans la boue. La Division a reçu
des nègres en renfort.
26
Octobre… Il conduit dans
un
centre d'instruction sa
compagnie, dont beaucoup de bleus de la classe 16 ne connaissaient
qu'imparfaitement le service des mitrailleuses.
Octobre,
Novembre et Décembre se passent dans la neige et la boue, avec peu
d'activité et encore moins de confortable. Les nègres sont
frigorifiés, mais ils ne se conservent pas mieux pour cela. Codet
est toujours dans un hôpital à Troyes. Le Capitaine André Hermil
est dans la Somme.
10
Décembre… Maurice prend une permission supplémentaire de
quelques jours.
27
Décembre… Il rentre à sa Compagnie le 24 décembre, pour le
réveillon, qui fut joyeux, comme d'habitude. Il a reçu de Grenoble
d'excellents chocolats de Peloux-Payer envoyés par Madame Émile
Clément, et des fondants expédiés par Maman, ce qui lui aide à
traverser la période des fêtes. L'Administration lui fournit des
bottes en caoutchouc, imperméables mais peu solides, qui sont de
première nécessité car la boue argileuse qui constitue le fond des
boyaux est merveilleusement apte à conserver l'eau du ciel.
28
Décembre… Il envoie à Maman ses souhaits de bonne année. Il
espère que le 1er
janvier 1918 nous trouvera tous réunis, mais sans trop y compter !!!
L'année 1917 nous réservait la tragique catastrophe.
Quant
à Maurice, il dit
avoir
avoir un moral en acier chromé et il se réjouit de prendre une
grande permission régulière au milieu de janvier.
31
Décembre… Situation inchangée. Maurice s'est commandé une
superbe paire de bottes en cuir jaune, lacée et montant jusqu'au
genou. Il en augure le plus bel effet pour sa permission.
Le
31 décembre, Madame Quiquandon, propre tante de ma femme, née
Salviany, est décédée Hôtel Franquières à Grenoble, à l'âge
de 96 ans. Elle était la grand-mère de nos cousins Chollier.