Maurice
ETIENNE
Sous-Lieutenant
au 367ème Régiment d'Infanterie
Chapitre
X
1917-21 :
les hommages
& témoignages
Année
1917
Il
me reste à mentionner les renseignements et témoignages qui nous
parvinrent depuis lors.
Renseignements
donnés par son ordonnance Bellouet.
Depuis
quelques jours, le 367° était violemment engagé contre un retour
offensif boche et, à un moment, il fallut renforcer le 3° Bataillon
qui était vivement pressé. La 4° compagnie de mitrailleuses reçut,
en conséquence, l'ordre de détacher un peloton au secours de ce
bataillon, et la fatalité voulut que ce fut le peloton commandé par
Maurice. Ce dernier arriva au secteur Huguenot, côte 304, près
d'Esnes (Meuse) et prit ses dispositions de combat. Ses hommes
étaient défilés
dans une tranchée, lui, séparé seulement de son peloton par
l'épaisseur d'un pare-éclats qui empêchait ses hommes de le voir.
Muni de sa lorgnette, la tête dépassant un peu la crête du
parapet, il surveillait les abords de la position. Toutes les cinq
minutes, Bellouet venait s'assurer de sa présence et prendre ses
ordres.La mitraille faisait rage. Vers 19H15, en accomplissant ce
mouvement, l'ordonnance ne voit plus son lieutenant contre le
parapet, mais l'aperçoit étendu par terre, sans mouvement, sa
lorgnette à ses côtés. Il se précipite, appelle du secours, mais
tout était inutile. Les deux blessures apparentes, celle du cœur
notamment, étaient mortelles. Le visage ne portait l'indice d'aucune
souffrance. Le pauvre lieutenant était mort sur le coup.
Bellouet
se hâta de relever le corps et de le
transporter à l'arrière, avec l'aide de quelques camarades, jusqu'à
l’Échelon, puis à Dombasle, à quelques kilomètres de là (10K).
Le lendemain, le corps fut mis en bière et inhumé au cimetière
annexe, contigu au cimetière paroissial, après qu'un service eut
été célébré dans l'église à demi-ruinée, par les soins de
l'aumônier de la 73° Division.
Le
dévoué ordonnance affirme que son lieutenant était adoré de ses
hommes, qu'il ne brusquait jamais et dont il obtenait tout par
l'exemple et la persuasion. Cette assertion est d'ailleurs corroborée
par une lettre du 7 août 1917 adressée à ma femme par les hommes
de son peloton, qui attestent en termes attendrissants leurs unanimes
regrets et leur profonde affection pour leur chef.
Son
ami, le Lieutenant Bussienne, aviateur, nous envoie d'abord les
objets personnels de Maurice ainsi qu'un certain nombre de
photographies intéressantes relatives à leur temps de séjour dans
les tranchées, enfin une photographie de la sépulture qu'il a pu
faire aménager très convenablement à l'aide des hommes de son
escadrille.
|
Sépulture de Maurice Etienne à Dombasle |
On
remarque sur la tombe plusieurs couronnes, dont
une splendide vu le moment de la situation, offerte par les officiers
du 367° à leur regretté camarade.
Le
12 août, son ancien ordonnance, le brave Pouteau, gravement blessé
et évacué, venant de subir l'opération de la laparotomie médiane,
nous écrit de Savault, son patelin, une lettre touchante pour
exprimer toute la douleur qu'il éprouve en apprenant la mort de son
ancien lieutenant, si brave, si bon pour lui, si aimé et estimé de
tous. Il accepte avec reconnaissance l'envoi d'une photographie qui
occupera chez lui la place d'honneur.
Voici
maintenant un certain nombre de lettres émanant de personnes qui
l'approchaient au moment de son décès et se trouvaient à même de
l'apprécier.
Lettre
du 13 Août 1917 du Colonel Mauche, commandant le 367° RI, au
Commandant Etienne.
« Le
Ss. Lieutenant Etienne, votre fils, était un des meilleurs officiers
du 367°. Très actif, très convaincu, il mettait toute son
intelligence et tout son cœur à accomplir son devoir.
Chef
énergique et bienveillant, il était suivi avec entrain par ses
mitrailleurs, toujours attentifs à son geste ou à sa voix.
Il
est mort en brave au moment où, arrivé en renfort auprès d'un
bataillon qui venait d'être violemment attaqué, il se préparait à
arrêter et à briser la progression de l'ennemi avec ses
mitrailleuses.
Le
367° conservera de lui le souvenir d'un excellent officier et d'un
charmant camarade.
Veuillez
me permettre de vous adresser mes très vives et sincères
condoléances. Votre grande douleur sera atténuée par la pensée
que votre fils est mort en brave et a toujours donné le bon exemple.
Mauche »
Le
15 Août 1917, lettre du Lieutenant Pinot, commandant la 4° Cie. de
Mitrailleuses, à Madame Etienne.
« Excusez-moi,
Madame, d'avoir mis aussi longtemps à vous répondre. Mes nombreux
déplacements en sont la cause. Hélas oui, Madame, notre meilleur
camarade et – j'ose le dire – notre meilleur ami n'est plus.
Estimé de tous, il laisse ici des regrets sincères. A la Compagnie
surtout, où il était très aimé, sa mort a causé une peine
profonde et tous se sont présentés comme volontaires pour ramener
son corps à l'arrière, malgré le danger du moment. Il repose en ce
moment dans le petit cimetière de Dombasle-en-Argonne,
où vous pourrez facilement retrouver ses restes. Très courageux, il
l'était ; le colonel de notre régiment a dû
en faire l'éloge à M. Etienne. Il était monté en ligne, très gai
comme d'habitude. Chaque jour, un agent de liaison allait de son
poste au mien, m'apportant chaque fois un mot rempli de gaîté. Oh !
Certainement, non, il n'avait pas le pressentiment de ce qui allait
lui arriver. Sous le bombardement, il faisait l'admiration de tous,
rassurant ses hommes, les mettant en confiance. Et ce malheureux obus
est venu ! Sa mort fut instantanée. Il est tombé sans un geste, les
traits réguliers de son visage ne laissant percevoir aucune trace de
douleur. Il est mort bravement, et une citation, qui sera pour vous
un ultime souvenir, a été proposée en témoignage de sa vaillance
à ces derniers combats.
Croyez,
Madame, que tous, nous compatissons à votre douleur. Son souvenir
nous restera profondément gravé. Quand nous sommes réunis à notre
table, nous parlons très souvent de lui. Quel vide, aussi, parmi
nous !
Permettez-moi,
Madame, de vous présenter, ainsi qu'à M. Etienne, mes plus sincères
sentiments de condoléances, et recevez l'expression de mes plus
respectueux hommages.
Lieutenant
Pinot »
Voici
maintenant trois lettres très consolantes sur le point le plus
important, l'au-delà. Elles émanent d'aumôniers qualifiés et
ayant vécu au milieu des tourments de la guerre.
Le
5 Août 1917, lettre de l'Aumônier aux Armées de la 73° Division.
« Madame,
Je
connaissais votre enfant et, comme tous ceux qui l'approchaient,
j'avais pour lui la plus grande estime et la plus sincère sympathie.
A
chaque rencontre, nous échangions quelques mots empreints de la plus
franche cordialité. Il parcourait les différents postes de ses
hommes, très calme et toujours souriant, malgré le danger
croissant. Il me fit, me serrant la main, la recommandation de ne pas
prolonger mon séjour dans sa tranchée. Le lendemain, apprenant sa
mort, je fus consterné et peiné profondément. Ses chefs, ses
camarades, ses hommes le pleurèrent. C'était justice.
Les
mitrailleurs descendirent son corps à Dombasle où mon auxiliaire se
trouvait. C'est lui qui fit la cérémonie religieuse. Avant notre
départ de la région, j'allais réciter une prière sur sa tombe qui
est dans le cimetière voisin du cimetière communal. Un encadrement
en bois l'entoure. Elle restera donc en parfait état et vous aurez
cette consolation de retrouver sa dépouille.
Soyez
certaine que son âme fut accueillie par Dieu. Ce matin, au service
solennel pour les braves du 367° tombés aux derniers combats, je
répétais aux soldats que la mort n'est pas une ruine mais un
changement, une exaltation, et – pour l'homme de devoir, de
conscience, d'immolation – une apothéose. Non seulement votre
enfant était brave jusqu'à l'héroïsme ; il était encore
droit. Et c'est vrai que le Bon Dieu a des trésors d'indulgence et
de miséricorde pour ceux qui donnent leur vie quand le devoir
l'exige.
J'aurai
un souvenir fréquent, dans mes prières et au Saint Sacrifice de la
Messe, pour son âme, puisque l’Église nous demande de prier
beaucoup pour nos morts, mais ne le pleurez pas comme ceux qui sont
sans espérance et qui ne savent pas se confier à l'infinie bonté
de Dieu.
Daignez,
Madame, agréer mes respectueuses condoléances, mes profonds
hommages et l'assurance de mes sentiments les plus dévoués.
A.
Leclère »
Lettres
du 18 Août 1917 et du 31 Août 1917, écrites au front, du R.P.
Barat, Missionnaire O.M.I. à Madame Etienne.
« Madame,
Avant-hier,
j'étais à orner les tombes de nos soldats dans un cimetière du
Front, quand deux poilus m'abordèrent, cherchant en vain la tombe du
Ss.Lieutenant Maurice Etienne. Elle était beaucoup plus à
l'arrière, au village de Dombasle, non dans le cimetière
paroissial, mais dans un cimetière militaire adjacent et clôturé
d'une haute palissade de jonc. Je suis allé là-bas ce matin, moins
pour reconnaître la tombe que pour prier sur les restes mortels du
vaillant officier.
Je
la connaissais déjà cette tombe, pour l'avoir remarquée entre
toutes les autres pour sa croix plus grande, pour sa plus riche
ornementation et par le soin avec lequel elle est entretenue. Des
mains pieuses et dévouées y déposent régulièrement dans un vase
un gerbe de fleurs. Ce sont actuellement des dahlias de diverses
couleurs. Les plantes d'arrière-saison y poussent en pleine terre
sur toute la surface de la tombe, entourée d'une balustrade peinte.
Une plaque de métal appliquée à la croix reproduit toutes les
indications voulues, inscrites déjà sur la croix. Deux magnifiques
couronnes sont posées sur la clôture de la tombe : l'une,
appuyée
à la croix, est celle offerte par le Lt.Colonel du héros, l'autre,
tressée de roses et de violettes, est celle des officiers et soldats
à leur cher ami et camarade, comme le porte l'inscription elle-même.
Je
suis heureux, Madame, de pouvoir vous donner ces indications et
veuillez agréer l'hommage de ma douloureuse sympathie. De pareils
deuils sont crucifiants pour le cœur, oui, mais vous n'ignorez pas
comment meurent nos soldats, en héros et en catholiques, tous. Donc,
nous devons porter fièrement le deuil de nos chers disparus, avec la
douce confiance qu'ils jouissent de l'éternelle récompense des
élus, que – de là-haut – ils continuent de veiller sur nous, de
vivre au milieu de nous, de nous porter au bien, de telle sorte que
nous puissions nous-mêmes, un jour, les retrouver et vivre avec eux
une vie d'éternelle union dans le Seigneur.
Le
Père Barat, Missionnaire O.M.I. »
Seconde
lettre.
« Madame,
J'ai
reçu avec reconnaissance la lettre si digne et si noble que vous
avez daigné m'adresser le 25 août, en réponse à quelques
renseignements qu'il m'était bien facile de donner.
Douloureusement
impressionné d'apprendre que le Ss.Lieutenant Maurice Etienne est le
fils du Commandant. Je me fais un devoir,
Madame, de vous redire mes sentiments de respectueuse condoléance,
comme aussi mon admiration pour la noble victime tombée au champ
d'honneur. Ce sont là des morts que le cœur, que la nature doit
pleurer, mais que – en réalité – nous ne pouvons pas ne pas
envier, tant elles ont de beauté, tant elles renferment
d'espérance !
Vous
craignez, Madame, en chrétienne, que votre fils n'ait été qu'un
héros ; vous souhaiteriez le voir martyr, parce que le martyre
appelle la récompense des élus, nécessairement, en tant que
suprême témoignage de la Charité Parfaite…
Le
soldat héroïque, Madame, et votre fils en est un, est celui qui a
envisagé clairement tout son devoir, et accepté généreusement,
d'une façon au moins tacite mais réelle, le devoir difficile et
même le sacrifice suprême de l'effusion de sang. Et le devoir –
en la circonstance – qu'est-ce donc ? Défendre sa patrie,
venger la justice violée, donc sauver ses frères, protéger les
autels et les foyers de la patrie, n'est-ce pas la forme supérieure
de la charité, suivant la parole du Sauveur : « Nous
n'avons pas de meilleur moyen de pratiquer la charité que de donner
sa vie pour ceux qu'on aime. » Si donc le simple fait
d'envisager et d'accepter chrétiennement la mort sur le champ de
bataille constitue un acte de charité parfaite, nous sommes fondés
à espérer fermement pour nos héros le parfait bonheur des élus.
Eh
oui ! Jésus choisit ses victimes, parce qu'il faut pour le
salut du pays des victimes d'agréable odeur, et si
Il
réclame avec le sang des fils, les larmes des
mères, c'est après avoir versé Lui-même, Fils Innocent, jusqu'à
la dernière goutte de son sang et après avoir mêlé à son sang
rédempteur toutes les larmes de la plus tendre, de la plus pure des
Mères, devenue par le fait notre co-rédemptrice et notre Mère.
Confiance
donc, Madame ! J'ai bien connu le Commandant Etienne, depuis
trois ans que je suis là…… etc.
Nous
sommes redescendus de la fameuse côte reconquise, pour quelques
semaines au repos à l'arrière. J'ai donc quitté votre chère
tombe, mais je puis vous assurer, Madame, de mon souvenir fréquent à
l'autel, à vos intentions et en faveur de votre cher enfant.
Hommage
de religieux respect,
Le
Père Barat, Missionnaire O.M.I. »
Voici
enfin une lettre écrite d'Alger le 4 Octobre 1917, du Médecin-Major
Aubry, qui était son camarade au 367°.
« Madame,
Je
trouve votre lettre à mon retour d'Algérie, après une permission
qu'une maladie de ma femme a prolongée, et je suis confus du retard
que j'apporte à vous répondre. J'en suis d'autant plus navré que
votre lettre est de celles auxquelles j'aurais voulu répondre
immédiatement, par respect profond pour votre douleur si noble et si
haute, en souvenir de mon cher camarade disparu, que nous pleurons
chaque jour.
Je
sais que vous avez eu, par le Lieutenant Pinot, des
détails
sur les circonstances dans lesquelles votre malheureux fils a été
frappé. Nous le savions tous brave, ardent, audacieux, mais
également froid et réfléchi. Il était de ceux qui, même dans les
moments les plus critiques, savent conserver un sang calme et juger
rapidement la situation. Les hommes qu'il commandait avaient senti en
lui un chef et le suivaient aveuglément. Le connaissant tel, nous
savions qu'il conduirait toujours judicieusement les siens, en leur
évitant les pertes inutiles, même dans les circonstances les plus
critiques. Et c'est un obus quelconque, anonyme, un de ces obus qui
battaient furieusement notre ligne, qui l'a frappé à l'instant où
il cherchait à se rendre compte en regardant par-dessus le parapet
de la tranchée. Le Docteur Laurière, du 4° Bataillon, qui l'a vu
presque aussitôt, m'affirme qu'il n'a pas souffert et que la mort a
dû
être foudroyante. Il a été relevé aussitôt et conduit au poste
de secours du bataillon, puis transporté à l'arrière par les
hommes de sa compagnie, atterrés par ce malheur. Ils adoraient leur
officier, jeune, beau, vaillant. Ils connaissaient encore mieux que
nous son énergie, son cœur ardent et généreux, toujours ouvert
aux belles pensées, aux nobles sacrifices.
Quant
aux officiers du régiment, à ses chefs, à ses camarades, comme
n'auraient-ils pas aimé ce grand garçon aux yeux purs et droits, à
l'abord si franc et si loyalement bon ?
Sa
mort a été un deuil pour tous et il ne se passe un jour où nous
n'évoquions le souvenir de sa jeunesse et vibrante amitié, à
jamais perdue. Pour moi, Madame, j'avais compris et aimé dès le
premier
contact sa nature enthousiaste et généreuse, et j'étais touché
d'avoir éveillé sa sympathie.
Malgré
la différence de nos âges, nous nous étions lié de suite
d'amitié, heureux d'échanger une poignée de main, un sourire, au
tournant d'un boyau ou dans un abri, heureux de nous trouver
semblables dans la foi et l'espérance en la victoire finale de notre
cher pays.
Hélas,
il est tombé, lui encore, après tant d'autres ! C'est payer
bien cher la victoire que de l'acheter avec un sang
si noble, si jeune, si généreux. Notre front, ici, s'assombrit
chaque jour ; et si ce peut être une atténuation à votre
inconsolable et trop juste douleur, dites-vous bien, Madame, que nous
pleurons tous, ici, votre cher disparu. Il est resté dans notre
souvenir à tous. C'est une tristesse pour toutes nos réunions que
de ne plus revoir ce regard calme et grave, ce jeune et généreux
cœur. C'est un grand exemple aussi, et en pensant à lui personne ne
doit oublier la leçon de ce sublime sacrifice.
Je
regrette de n'avoir pas pu vous apporter, à mon passage à Paris,
l'hommage de ma respectueuse sympathie.
Veuillez
agréer, Madame, mes plus respectueux hommages,
Dr.
Georges Aubry »
Ces
quelques lettres accompagnées d'une foule de témoignages oraux et
de nombreuses marques de sympathie, attestent les sentiments d'estime
et d'affection que notre cher Maurice avait su inspirer chez tous
ceux qui l'approchaient. Je dois ajouter que sa mort héroïque ne
fut pas stérile. Dès le lendemain, la série de sanglants combats
dont j’ai parlé se termina par l'enlèvement définitif de la
fatale côte 304 par le 367°. Dieu devait bien ce succès à tant
d'efforts, à tant de sang versé.
Le
général commandant la 2ème Armée, sous le N°843, citait à
l'Ordre de l'Armée :
« Les
4 compagnies de Mitrailleuses du 367°RI qui, groupées en vue d'une
contre-attaque immédiate, sous les ordres du Commandant Léro,
commandant le 4° Bataillon du 367°, ont réussi, grâce à leur
vaillance et une liaison intime entre tous leurs éléments, à
refouler victorieusement l'ennemi, à reprendre les tranchées qu'il
avait enlevées et à s'y maintenir, malgré de vigoureuses
contre-offensives, arrêtant ainsi définitivement son avance et lui
faisant des prisonniers. »
De
Là-Haut, Maurice a dû accueillir avec fierté ce bulletin de
victoire, contresigné de son sang, heureux
présage du triomphe définitif de nos armes, de la justice, du droit
et de la libération du territoire français.
Désormais,
il peut dormir en paix son dernier sommeil et recevoir sur sa tombe,
fleurie par des soins pieux, les hommages de reconnaissance et
d'admiration de ceux qui lui ont survécu. Il repose pour toujours en
terre française.
Pour
terminer ce qui a trait à la mémoire de Maurice, en dehors des
manifestations religieuses qui eurent lieu à la paroisse d'Auteuil,
j'ai à signaler ce qui suit…
En
l'église de N.D. d'Auteuil, une belle plaque en marbre blanc, sur
laquelle sont inscrits en lettres d'or les noms des paroissiens morts
pour la France a été érigée, à droite en sortant. Le nom du
Lieutenant Maurice Etienne y figure, mais avec une date erronée :
1916 au lieu de 1917.
A
l’École des Sciences Politiques, rue St. Guillaume à Paris,
j'avais immédiatement fait part au Directeur de la mort glorieuse de
Maurice. Il me répondit, par la plume de Monsieur Claudel,
Secrétaire Général, par la lettre ci-après, datée du 14 Août
1917.
« Monsieur,
C'est
avec un profond sentiment de douleur que l’École des Sciences
Politiques a appris le deuil cruel qui vient de vous frapper et je
m'empresse de vous transmettre l'expression des vives condoléances
du Directeur et du Corps professoral de l’École.
Le
souvenir de votre glorieux sacrifice ne périra pas ici. Le nom de
Maurice Etienne figurera au Livre d'Or de l’École. Je vous serais
très reconnaissant de me communiquer à ce sujet les détails
touchant à la carrière militaire de Monsieur votre fils, qu'il
serait intéressant de consigner dans les archives de la Société
des Anciens Élèves.
Veuillez
agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments personnels de
profonde condoléance et de vive sympathie.
Claudel
Secrétaire
Général »
En
réponse à cette lettre, je m'empressai de fournir les
renseignements demandés et je reçus, avec les exemplaires de la
notice annoncée, le mot ci-après, daté
du 20 Février 1918.
« Monsieur,
Je
vous fais parvenir quelques exemplaires de la notice que le dernier
Bulletin de la Société des Élèves de l’École des Sciences
Politiques vient de consacrer à Maurice Etienne. C'est un bien petit
hommage rendu à cette belle mémoire. Vous y verrez du moins la
preuve que son souvenir ne périra pas parmi nous.
Veuillez
agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments les plus tristement
sympathiques.
Claudel »
Enfin,
lorsque la décoration de Chevalier de la Légion d'Honneur à titre
posthume de Maurice eût paru au Journal Officiel, j'en fis part à
l’École et je reçus la dernière lettre que voici, datée du 18
Juillet 1920.
« Monsieur
le Commandant,
Je
m'empresse de vous remercier de la communication que vous avez bien
voulu me faire de la décoration dont Mr. Votre Fils a été l'objet,
et de vous dire que j'aurai soin qu'elle soit publiée dans la revue
de l’École et dans le Livre d'Or de la Société des Élèves.
Tous les anciens camarades de votre fils applaudirent avec émotion
et fierté à ce dernier hommage rendu à sa valeur.
Claudel »
La
notice, qui est annexée au présent travail, a paru dans le
supplément à la Revue des Sciences Politiques en date du 15 Février
1918. Le Livre d'Or de la Société vient de paraître (1921) et
Maurice y figure à la page 47. Enfin, une stèle a été érigée
dans le préau de l’École et contient les noms des 330 anciens
élèves morts pour la France.
Le
Lycée Louis-le-Grand, où Maurice avait terminé ses études,
m'ayant écrit pour avoir des renseignements sur sa carrière et ses
derniers jours, je lui envoyai ce qu'on me demandait. En outre, le
photographe Pirou, rue Royale, chargé par ce Lycée d'établir un
album général des anciens élèves morts pour la France,
me réclama un ancien portrait en vue d'un agrandissement. Le tout
était destiné à l'établissement d'un Livre d'Or, puis un
monument, non encore terminé.
Le
Petit Séminaire du Rondeau-Montfleury (par La Tronche, Isère)
déploya la plus grande sollicitude en vue d'honorer la mémoire des
anciens élèves morts pour la France. Une très belle plaque en
marbre noir, placée sur le côté gauche intérieur de l'ancienne
chapelle du Sacré-Coeur, porte, inscrits en lettres d'or, les noms
des 150 braves tombés à l'ennemi. Un service annuel est célébré
pour le repos de leur âme et des prières fréquentes sont dites à
leur intention.
Enfin,
un professeur distingué du Rondeau, M. l'Abbé Huguet, a écrit et
publié, à l'instigation des la Société des anciens élèves, un
très beau Livre d'Or, pour perpétuer le souvenir de ceux qui sont
tombés « En
holocauste pour la France »
pendant la grande guerre 1914-1918. Cette publication,
remarquablement bien rédigée et documentée, comprend, avec leurs
portraits, les noms et les photographies des 150 victimes. Maurice
est sociétaire perpétuel de la Société des anciens élèves du
Rondeau.
La
Société
Sportive
Doyenne de Paris, le Stade Français, dont Maurice a fait partie
jusqu'à sa mort et où il occupait, à la mobilisation, les
fonctions de Capitaine de l'équipe première de Rugby, m'a demandé
tous les renseignements concernant la mort de notre fils, en vue
l'érection, sur leur terrain de St. Cloud, d'un monument funèbre à
la mémoire des stadistes morts pour la France.
|
Maurice au Stade Français (sous la croix) |
Maurice
avait la passion bien légitime des sports, du ballon ovale en
particulier. Il avait même été classé comme International, ce qui
indique sa qualité. Dans le jeu, il avait trouvé l'occupation de
ses loisirs, la santé, la souplesse et une force de résistance qui
lui fut d'un grand secours pendant la guerre. Il mérite bien d'être
inscrit en bonne place dans les annales du Stade.
J'ai
terminé ce pieux et modeste hommage rendu à celui qui fut le
meilleur des fils et un héroïque français. Les larmes que nous
avons versées et que nous verserons encore jusqu'à notre fin ,ne
comportent pas d'amertume, puisqu'une telle mort contient en
elle-même des germes de consolation et d'espérance.
Maintenant
que tout est fini, qu'après bien des révoltes et des murmures
contre l'arrêt impitoyable de Dieu nous nous sommes soumis pour
conserver intact l'espoir de retrouver notre fils un jour, il nous
reste une décision à prendre sur le lieu définitif de sa
sépulture.
Notre
intention actuelle, confirmée par une demande officielle, est bien
d'inhumer Maurice à Grenoble, dans la concession perpétuelle de la
famille Salviany, près de ses ancêtres.
Mais
nous hésitons,
car
n'est-il pas préférable de ne pas troubler son dernier sommeil, de
le laisser reposer en paix dans la tombe
choisie par ses frères d'armes, dans ce sol arrosé de son sang, sur
ce terrain reconquis par sa vaillance ? D'autant plus que –
désormais – ma propre famille est sans doute appelée à
disparaître en Dauphiné.
Quel
que soit le lieu qui abritera sa dépouille mortelle, nous saurons,
jusqu'à notre dernier jour, y déposer le pieux tribut de nos
inlassables prières et de notre inconsolable tendresse.
Tous
les miens tiendront à nous imiter.
Ceux
qui, pieusement, sont morts pour la patrie
ont
droit qu'à leur cercueil, la foule accoure et prie.
Au
verso du Memento :
****
Sa dernière citation ****
« Officier
remarquable de sang-froid et de bravoure, ayant le mépris le plus
absolu du danger, a remarquablement dirigé les tirs de sa section de
mitrailleuses. Est tombé, mortellement frappé, à Verdun, le 28
Juin 1917, au moment où il arrêtait la progression de l'ennemi.
(Croix de Guerre avec palmes) »
*********
Ô
mon Dieu ! Il vous a plu de prendre sa jeunesse avant qu'ait
sonné la fin du combat et l'heure de la victoire… Faites que son
sacrifice soit utile à la Patrie.
*********
Il
s'avançait dans la vie entouré de l'amour des siens, respecté de
ses inférieurs, recherché de ses camarades, estimé des ses chefs
et aimé de tous. (Saint Jérôme)
*********
Quand
on meurt martyr de son devoir sur le champ de bataille, on se
réveille dans la gloire et la béatitude (Cardinal Amette)
*********
Une
telle mort constitue un protecteur au Ciel pour tous ceux qui le
pleurent ici-bas. (Mgr. De Durfort) »
*********
Paris,
le 2 Novembre 1921
Son
père,