Maurice ETIENNE
Sous-Lieutenant au 367ème Régiment d'Infanterie
Chapitre I
1890-1894 : de Saint-Etienne à Angoulême, de
Versailles à Paris
Année 1890
Joseph Gabriel Maurice ETIENNE naquît à Angoulême,
13 rue du Ronclos, le 12 novembre 1890 à 11 heures du soir. Il était le second
enfant du Capitaine et de Madame Léon Salviany. Son aînée, Elise Marie
Magdeleine, avait exactement 21 mois.
Dès sa naissance, il apparaissait comme un garçon
vigoureux, pesant 4K,500. Sa nourrice, Mme. Pierre Limousin, domiciliée aux
Nègres, près de Ruffec, prit ses fonctions le troisième jour. C’était une femme
sérieuse, dévouée, excellente nourrice, au teint basané, dont elle semble avoir
communiqué une partie à son nourrisson.
La déclaration à la Mairie fut faite le 13
novembre par le père, accompagné de deux témoins, la capitaine Darton, du 34ème
et le Capitaine Delmotte, du 21ème d’Artillerie.
Le baptême eût lieu à l’église paroissiale de St.
Martial, le 19 novembre à 2h30 du soir. Son parrain était son oncle maternel M.
Joseph Salviany ; sa marraine était sa tante paternelle Mme. Gaëtan
Hermil, tous deux habitant Grenoble et empêchés de se déplacer. Aussi
furent-ils remplacés à la cérémonie, l’oncle Joseph par le Lieutenant-Colonel
Ploix, décédé comme Général de Brigade, et la tante Gabrielle par Mme. Darton.
Dès que la mère fut complètement rétablie, le 12
décembre, le dîner de baptême eût lieu. Les convives étaient : le
Lt.Colonel Ploix, le Capitaine et Mme. Darton, le Capitaine et Mme. Delmotte,
amis et voisins, le Capitaine et Mme. Luc, de l’Ecole d’Artillerie, et les
parents.
Au menu : potage velouté, bouchées à la
reine, turbot sauce hollandaise, filet de bœuf aux truffes avec champignons à
la crème, faisans truffés, fois gras du Périgord, glaces, desserts. Le tout
arrosé de Ht.Sauterne, Mouton-Rothschild et champagne Clicquot.
Le dîner fut exceptionnellement gai et bon. Au
dehors, il faisait une température sibérienne, qui dura plus de deux mois, en
sorte que les journées des nouveau-nés se passèrent dans la maison, d’ailleurs
grande et confortable. Conformément aux usages d’Angoulême à cette époque,
chaque habitant possédait sa maison particulière avec petit jardin. La nôtre
comprenait trois étages avec cuisine, grand office, lingerie, salon, salle à
manger, bureau, quatre chambres de maître avec cabinet de toilette, deux
chambres pour domestiques, fruitier, grenier, etc… Outre la nourrice, le
personnel se composait d’une cuisinière, Louise, surnommée Zonzette par
Magdeleine, et une femme de chambre, Marie, qui nous quitta peu après.
Année 1891
En janvier, à la suite d’une permutation, je fus
nommé inspecteur d’armes à la Direction d’Artillerie de Versailles. Toute la
famille quitta Angoulême le 10 février et descendit à l’Hôtel Suisse, à
Versailles, avant de s’installer dans l’appartement choisi, 18 rue Neuve. Il
était situé au rez-de-chaussée surélevé d’un immeuble très confortable appartenant
à Me. Renaud, Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de cette ville, dans un quartier
tranquille, à proximité du Bassin de Neptune. Il comprenait un salon, salle à
manger, cuisine, trois chambres de maître et de nombreuses dépendances, dont un
vrai petit jardin qui rendit les plus grands services pour l’éducation de nos
enfants.
Les premiers mois de 1891 s’écoulèrent sans
incident. Au mois de juillet, mon beau-frère, le Docteur Hermil, qui venait
d’avoir un fils, André, le 22 avril, succomba à Grenoble des suites d’une
inconsolable maladie, laissant une veuve, ma sœur Gabrielle, avec deux enfants
en bas âge.
En raison de ce douloureux événement et de notre
déménagement du début de l’année, nos vacances se passèrent à Versailles. Le
jeune Maurice continuait à se porter admirablement. L’air pur et vivifiant du
Parc, et surtout des Trianons, où leur mère les conduisait régulièrement avec
un admirable dévouement, convenait parfaitement à nos deux enfants.
Au mois d’octobre, ma sœur Thérèse, âgée de 22
ans, sujette à une anémie assez prononcée, vînt passer l’hiver à la maison, où
elle ne tardera pas à retrouver la santé.
Année 1892
L’hiver 1891-92 n’offre rien de remarquable, sauf
que le jeune Maurice fut sevré et que notre cuisinière Louise, amenée avec nous
depuis St.Etienne et Angoulême, nous quitta sans nous prévenir, pour une
augmentation mensuelle de gages de 10 Francs.
Le mois de mars fut marqué par le projet d’union
entre ma sœur Thérèse et M. Théophile Lacuire, Professeur de langues vivantes
au Collège d’Arbois. Le projet fut amorcé par mon oncle, le Commandant Aimé
Mathieu, qui avait déjà pour neveu, du coté de sa femme, M. Gustave Lacuire,
Percepteur à Givors, frère de Théophile. Après plusieurs entrevues chez nous ou
à Paris, le jeune homme fut agréé et le mariage fixé à La Tronche près de
Grenoble, chez Mme. Hermil, la sœur de la future, pour le mois d’août suivant.
Théophile Lacuire avait 25 ans et son père était également Percepteur, à Bâgé,
dans l’Ain.
A l’occasion de cette fête, toute la famille, nos
enfants compris, alla passer deux mois de vacances à La Tronche chez Mme.
Hermil. Des photographies prises dans le jardin de ma sœur montrent Magdeleine
et Maurice le jour de la cérémonie.
La fin de 1892 n’apporta aucun fait digne d’être
relaté. Nos enfants se sont liés avec ceux du Capitaine de Génie Hourdaille.
Année 1893
La situation ne se modifia pas. Les enfants
passaient leur après-midi à Trianon ou dans le Parc, fréquemment seuls avec
leur mère, quelquefois avec les enfants du Capitaine d’Artillerie Collin.
Maurice commençait à se développer beaucoup au contact de cette vie en plein
air. Il avait pris la mauvaise habitude, en jouant avec ses jeunes amis, de
leur serrer le cou d’une manière inquiétante pour leur respiration.
Comme en 1892, le deux mois de vacances se
passèrent à La Tronche, chez ma sœur Mme. Hermil. Les cousins Magdeleine et
Marcelle Hermil d’une part, Maurice et André Hermil de l’autre, d’âges
équivalents, s’entendaient très bien. Il arriva qu’en jouant dans le jardin,
André donna par mégarde un violent coup de pioche qui atteignit Maurice au
front, à quelques millimètre au-dessus de son arcade sourcilière gauche. D’un
rien, notre fils perdait l’œil. La cicatrice resta visible jusqu’aux derniers
jours de sa vie.
1- Magdeleine & Maurice à La Tronche 1893
Pendant
ces vacances, Magdeleine et Maurice allèrent passer une journée à
Saint-Lattier, berceau de la famille Etienne, dans la belle propriété des
Martins, appartenant à la branche Eugène Etienne. Cette propriété allait être
prochainement aliénée, comme l’avait été, en 1891, celle de l’Olivier que nous
possédions de notre père.
Nos enfants passèrent aussi plusieurs journées à Eybens, chez l’ancien tuteur de ma femme, M. Jean Edouard Vidil. Nos enfants furent aussi photographiés pendant les mêmes vacances chez Martinotto ; un de ces portrait représente Maurice à cette époque. C’était un gros bébé joufflu et gracieux, plein de vie, le visage encadré d’abondants cheveux blonds, dont une boucle a été conservée. Elle fait un curieux contraste avec ses cheveux, tournés au noir franc, et avec sa physionomie générale devenue très brune par la suite.
A la
fin septembre, eut lieu la rentrée à Versailles. Nos enfants passèrent un
excellent hiver, surtout Maurice qui se développait à souhait. Comme le temps
n’était pas toujours favorable aux sorties, on jouait bruyamment à l’intérieur
dans la vaste antichambre. Assis sur une chaise, Maurice faisait le cocher et
conduisait sa sœur qui, trônant sur une seconde chaise simulant l’arrière de la
voiture, faisait la mariée, parée d’un long voile blanc.
Pour
se reposer, Maurice, qui était désolé lorsque sa mère sortait sans lui, venait
s’asseoir près d’elle, sur ses jupes, pour être bien sûr qu’elle ne partirait
pas et me disait quand je rentrais : « j’ai bien gardé Maman. ».
Il devait rester longtemps très enfant, très affectueux, jusqu’à l’ère néfaste
du grec et du latin où il fallut s’asseoir aussi, mais sur les bancs du collège.
Année
1894
Au
mois de janvier, naquît à Agen une nièce à moi, Suzanne Lacuire, fille de
Théophile, professeur au lycée de cette ville. Je fis, à cette occasion, le
déplacement pour assister au baptême. Le parrain était M. Lacuire père, qui, en
débarquant à Agen, fut prestement soulagé par un tire-laine de son portefeuille
bien garni.
Au
début du mois de mai, Maurice, qui n’avait pas eu jusque là le moindre bobo,
fut atteint d’une forte fièvre. Après quelques jours d’incubation, une
scarlatine fut diagnostiquée par le Docteur Laurent. Il était urgent d’isoler
la sœur de son frère. Magdeleine, qui n’avait alors que 5 ans, fut placée comme
pensionnaire au couvent de Grandchamps, au-dessus de Satory, là où Sarah
Bernhard fut élevée, dit-on.
J’allais
la voir tous les jours et je l’emmenais se promener dans le Parc. Sa mère, qui
couchait dans la même chambre que Maurice, ne la voyait que de loin. La maladie
suivit son cours normal et la réclusion de la pauvre mère dura quarante jours,
bien durs à passer à la chambre en pareille belle saison. Cette maladie avait
été communiquée à notre Maurice par son ami Maurice Hourdaille. Notre fils en
sortit très fortifié, et les circonstances permirent de lui procurer une
villégiature bien appropriée.
En
effet, après avoir été reçu en avril à l’Ecole Supérieure de Guerre, je fus
détaché le 20 juin pour trois mois dans le 7ème Corps, pour
remplacer mon collègue inspecteur d’armes indisponible. Je fixai mon lieu de
résidence à Lure (Hte. Saône) d’où je rayonnais pour mon service quotidien dans
tout le 7ème Corps. Lure n’offre pas de grandes ressources, mais le
pays ne manque pas d’agrément en été. Nous fûmes assez heureux pour trouver un
gentil pavillon dans une propriété bien située et appartenant à Mme. Lomond.
Nos enfants eurent ainsi la facilité de passer toutes leurs journées en plein
air. Fréquemment, on les menait en voiture sur les bords de l’Ognon, du Breuchin,
etc… où ils se baignaient, pêchaient et jouaient. La région offre cent
charmantes excursions et la vie y est facile. Maurice avait une frayeur
manifeste d’un couple de paons, hôtes du jardin, qui étaient plus grands que
lui et aimaient à le poursuivre. Enfin, cette villégiature lui réussit bien,
grâce au bon air et à l’excellente cuisine de Catherine, femme de ménage
alsacienne que nous avions adoptée pour la saison.
Ma
mission terminée, fin septembre, nous revînmes tous à Versailles. Il fallut de
suite se disposer à déménager pour nous rendre à Paris, les cours de l’Ecole de
Guerre commençant le 1er novembre.
L’appartement
que nous choisîmes se trouvait 79 avenue Bosquet, 4ème étage, tout
près de l’école militaire. L’installation eût lieu dans les premiers jours
d’octobre et Maurice commença immédiatement ses exercices d’équitation dans la
vaste antichambre, sur un superbe cheval de bois.
En
même temps, Mme. Laforte, une grande amie de Maurice, dont le fils venait
d’être reçu l’Institut Agronomique, vînt s’installer à Paris 13 rue Mézières.
Cette
période ne présente aucun fait intéressant concernant Maurice, qui continuait à
se développer normalement, et qui, à sa grande fierté, venait d’arborer les vêtements
d’homme. Nous avions comme cuisinière une luxembourgeoise nommé Anna ;
elle nous procura, comme bonne d’enfants, une compatriote, sa cousine, qui
enseignait sans grand succès l’allemand à nos enfants. Mais comme elle abusait
de la manière forte, nous devrons la congédier.
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