jeudi 9 juin 2016

1922 : Épilogue

Maurice ETIENNE

Sous-Lieutenant au 367ème Régiment d'Infanterie


Épilogue

1922 : Inhumation définitive de Maurice



En décembre 1921, Bellouet, qui avait repris ses activités d'horticulteur et pépiniériste à Orléans, nous avait envoyé un croquis représentant la tombe de Maurice, ornée des arbustes, lilas et rosiers qu'il avait envoyé à Dombasle pour Mademoiselle Eugénie Blandin, qui était chargée de l'entretien de la tombe comme déléguée du Souvenir Français.


Après de longues hésitations, et vu la décision des autorités de transférer le corps de notre fils, de Dombasle où il avait été inhumé le lendemain de son décès, jusque dans une grande nécropole de l'Est, nous avons jugé préférable de faire transporter la dépouille mortelle de notre fils à Grenoble, ville où nous avons quelque chance de terminer nos jours.

La cérémonie de la translation et de l'inhumation a eu lieu à Grenoble le le 15 Juillet 1922, la cérémonie à l'église Notre Dame, l'inhumation au cimetière St. Roch, dans la demi-case de gauche en entrant, N°126. Il tombait une pluie diluvienne ; toute notre famille des environs assistait aux obsèques.

Le corps de Maurice repose dans l'allée centrale recouverte de gravier blanc de la concession, les pieds contre la porte d'entrée de la grille. Une croix de bois, celle placée par ses compagnons d'armes à Dombasle sur sa tombe provisoire, marque actuelle la place du milieu de son corps. A sa suite, vient le corps de Joseph Salviany, jusqu'au monument.

Voici un rappel des honneurs rendus à Maurice au cours de sa carrière militaire : Maurice Etienne, Sous-lieutenant à la 4° Cie. de Mitrailleuses du 367° Régiment d'Infanterie, Mort pour la France, à la côte 304 près de Verdun, le 28 juin 1917 ; cinq citations à l'Ordre. Croix de guerre : deux palmes, trois étoiles. Chevalier de la Légion d'Honneur à titre posthume.

« Le Brave dont le nom suit est cité à l'Ordre de la Brigade : Ss. Lieutenant Etienne (Joseph, Gabriel, Maurice), 19° Cie du 368°. Officier très courageux et plein d'entrain ; a ramené dans nos lignes un blessé allemand qu'il est allé chercher, de jour, à 20 mètres des réseaux de fil de fer ennemis, devant Fey-en-Haye, le 4 octobre 1915.
Le Colonel commandant la 146° Brigade
Florentin »

C'est dans le même secteur qu'à la suite d'une opération vivement conduite, le 13 Mars 1916, le Général de Brigade cite à l'Ordre la 19° Compagnie du 368° R.I. qui a « ...par ses officiers, les lieutenants Paulard et Etienne, a enlevé et nettoyé en un clin d’œil une tranchée de 1ère ligne ennemie sur un front de 200 mètres. »

Cette affaire valait personnellement au sous-Lieutenant Etienne une citation à l'Ordre de l'Armée (croix de guerre avec palme), avec le libellé suivant :

« Au cours d'un coup de main exécuté par sa compagnie, le 13 Mars 1916, dans les lignes allemandes, a tué de sa main, à l'entrée d'un abri-caverne, deux allemands qui refusaient de se rendre et en a fait un troisième prisonnier. »

Après dix-huit mois passés dans ce secteur difficile, son régiment, le 368°, est dissous, il est versé au 367°, dans une compagnie de mitrailleuses, où il continue de se signaler.

Par trois fois, sur la rive droite de la Meuse, il participe avec sa Division, la 73°, à la défense héroïque de Verdun, dans les conditions les plus périlleuses. La quatrième fois, en Juin 1917, il est dirigé avec son régiment sur la rive gauche, vers la côte 304. Il devait y trouver la mort.Cette mort glorieuse lui valait la citation suivante à l'ordre de la 73° Division :

« Officier remarquable de sang-froid et de bravoure, ayant le mépris le plus absolu du danger, a remarquablement dirigé le tir de sa section de mitrailleuses. Est tombé mortellement frappé, le 28 Juin 1917, au moment où il arrêtait la progression de l'ennemi.
Lebocq. »

Enfin, par arrêté du 18 Octobre 1919, publié au J.O. le 7 Janvier 1920 :

« La Croix de Chevalier de la Légion d'Honneur a été attribuée à la Mémoire du Sous-Lieutenant Etienne, Joseph Gabriel Maurice, Mort pour la France. »

La citation du Ministre reproduit textuellement celle du Général commandant la 73° Division, en y ajoutant « Croix de guerre avec palme. »



A jour, le 1er Février 1922
Léon Etienne




1917-21 : les hommages & témoignages

Maurice ETIENNE

Sous-Lieutenant au 367ème Régiment d'Infanterie


Chapitre X

1917-21 : les hommages & témoignages




Année 1917



Il me reste à mentionner les renseignements et témoignages qui nous parvinrent depuis lors.

Renseignements donnés par son ordonnance Bellouet.

Depuis quelques jours, le 367° était violemment engagé contre un retour offensif boche et, à un moment, il fallut renforcer le 3° Bataillon qui était vivement pressé. La 4° compagnie de mitrailleuses reçut, en conséquence, l'ordre de détacher un peloton au secours de ce bataillon, et la fatalité voulut que ce fut le peloton commandé par Maurice. Ce dernier arriva au secteur Huguenot, côte 304, près d'Esnes (Meuse) et prit ses dispositions de combat. Ses hommes étaient défilés dans une tranchée, lui, séparé seulement de son peloton par l'épaisseur d'un pare-éclats qui empêchait ses hommes de le voir. Muni de sa lorgnette, la tête dépassant un peu la crête du parapet, il surveillait les abords de la position. Toutes les cinq minutes, Bellouet venait s'assurer de sa présence et prendre ses ordres.La mitraille faisait rage. Vers 19H15, en accomplissant ce mouvement, l'ordonnance ne voit plus son lieutenant contre le parapet, mais l'aperçoit étendu par terre, sans mouvement, sa lorgnette à ses côtés. Il se précipite, appelle du secours, mais tout était inutile. Les deux blessures apparentes, celle du cœur notamment, étaient mortelles. Le visage ne portait l'indice d'aucune souffrance. Le pauvre lieutenant était mort sur le coup.

Bellouet se hâta de relever le corps et de le transporter à l'arrière, avec l'aide de quelques camarades, jusqu'à l’Échelon, puis à Dombasle, à quelques kilomètres de là (10K). Le lendemain, le corps fut mis en bière et inhumé au cimetière annexe, contigu au cimetière paroissial, après qu'un service eut été célébré dans l'église à demi-ruinée, par les soins de l'aumônier de la 73° Division.

Le dévoué ordonnance affirme que son lieutenant était adoré de ses hommes, qu'il ne brusquait jamais et dont il obtenait tout par l'exemple et la persuasion. Cette assertion est d'ailleurs corroborée par une lettre du 7 août 1917 adressée à ma femme par les hommes de son peloton, qui attestent en termes attendrissants leurs unanimes regrets et leur profonde affection pour leur chef.

Son ami, le Lieutenant Bussienne, aviateur, nous envoie d'abord les objets personnels de Maurice ainsi qu'un certain nombre de photographies intéressantes relatives à leur temps de séjour dans les tranchées, enfin une photographie de la sépulture qu'il a pu faire aménager très convenablement à l'aide des hommes de son escadrille.
Sépulture de Maurice Etienne à Dombasle

On remarque sur la tombe plusieurs couronnes, dont une splendide vu le moment de la situation, offerte par les officiers du 367° à leur regretté camarade.

Le 12 août, son ancien ordonnance, le brave Pouteau, gravement blessé et évacué, venant de subir l'opération de la laparotomie médiane, nous écrit de Savault, son patelin, une lettre touchante pour exprimer toute la douleur qu'il éprouve en apprenant la mort de son ancien lieutenant, si brave, si bon pour lui, si aimé et estimé de tous. Il accepte avec reconnaissance l'envoi d'une photographie qui occupera chez lui la place d'honneur.

Voici maintenant un certain nombre de lettres émanant de personnes qui l'approchaient au moment de son décès et se trouvaient à même de l'apprécier.

Lettre du 13 Août 1917 du Colonel Mauche, commandant le 367° RI, au Commandant Etienne.

« Le Ss. Lieutenant Etienne, votre fils, était un des meilleurs officiers du 367°. Très actif, très convaincu, il mettait toute son intelligence et tout son cœur à accomplir son devoir.

Chef énergique et bienveillant, il était suivi avec entrain par ses mitrailleurs, toujours attentifs à son geste ou à sa voix.

Il est mort en brave au moment où, arrivé en renfort auprès d'un bataillon qui venait d'être violemment attaqué, il se préparait à arrêter et à briser la progression de l'ennemi avec ses mitrailleuses.

Le 367° conservera de lui le souvenir d'un excellent officier et d'un charmant camarade.
Veuillez me permettre de vous adresser mes très vives et sincères condoléances. Votre grande douleur sera atténuée par la pensée que votre fils est mort en brave et a toujours donné le bon exemple.

Mauche »

Le 15 Août 1917, lettre du Lieutenant Pinot, commandant la 4° Cie. de Mitrailleuses, à Madame Etienne.

« Excusez-moi, Madame, d'avoir mis aussi longtemps à vous répondre. Mes nombreux déplacements en sont la cause. Hélas oui, Madame, notre meilleur camarade et – j'ose le dire – notre meilleur ami n'est plus. Estimé de tous, il laisse ici des regrets sincères. A la Compagnie surtout, où il était très aimé, sa mort a causé une peine profonde et tous se sont présentés comme volontaires pour ramener son corps à l'arrière, malgré le danger du moment. Il repose en ce moment dans le petit cimetière de Dombasle-en-Argonne, où vous pourrez facilement retrouver ses restes. Très courageux, il l'était ; le colonel de notre régiment a dû en faire l'éloge à M. Etienne. Il était monté en ligne, très gai comme d'habitude. Chaque jour, un agent de liaison allait de son poste au mien, m'apportant chaque fois un mot rempli de gaîté. Oh ! Certainement, non, il n'avait pas le pressentiment de ce qui allait lui arriver. Sous le bombardement, il faisait l'admiration de tous, rassurant ses hommes, les mettant en confiance. Et ce malheureux obus est venu ! Sa mort fut instantanée. Il est tombé sans un geste, les traits réguliers de son visage ne laissant percevoir aucune trace de douleur. Il est mort bravement, et une citation, qui sera pour vous un ultime souvenir, a été proposée en témoignage de sa vaillance à ces derniers combats.

Croyez, Madame, que tous, nous compatissons à votre douleur. Son souvenir nous restera profondément gravé. Quand nous sommes réunis à notre table, nous parlons très souvent de lui. Quel vide, aussi, parmi nous !

Permettez-moi, Madame, de vous présenter, ainsi qu'à M. Etienne, mes plus sincères sentiments de condoléances, et recevez l'expression de mes plus respectueux hommages.

Lieutenant Pinot »

Voici maintenant trois lettres très consolantes sur le point le plus important, l'au-delà. Elles émanent d'aumôniers qualifiés et ayant vécu au milieu des tourments de la guerre.

Le 5 Août 1917, lettre de l'Aumônier aux Armées de la 73° Division.

« Madame,

Je connaissais votre enfant et, comme tous ceux qui l'approchaient, j'avais pour lui la plus grande estime et la plus sincère sympathie.

A chaque rencontre, nous échangions quelques mots empreints de la plus franche cordialité. Il parcourait les différents postes de ses hommes, très calme et toujours souriant, malgré le danger croissant. Il me fit, me serrant la main, la recommandation de ne pas prolonger mon séjour dans sa tranchée. Le lendemain, apprenant sa mort, je fus consterné et peiné profondément. Ses chefs, ses camarades, ses hommes le pleurèrent. C'était justice.

Les mitrailleurs descendirent son corps à Dombasle où mon auxiliaire se trouvait. C'est lui qui fit la cérémonie religieuse. Avant notre départ de la région, j'allais réciter une prière sur sa tombe qui est dans le cimetière voisin du cimetière communal. Un encadrement en bois l'entoure. Elle restera donc en parfait état et vous aurez cette consolation de retrouver sa dépouille.

Soyez certaine que son âme fut accueillie par Dieu. Ce matin, au service solennel pour les braves du 367° tombés aux derniers combats, je répétais aux soldats que la mort n'est pas une ruine mais un changement, une exaltation, et – pour l'homme de devoir, de conscience, d'immolation – une apothéose. Non seulement votre enfant était brave jusqu'à l'héroïsme ; il était encore droit. Et c'est vrai que le Bon Dieu a des trésors d'indulgence et de miséricorde pour ceux qui donnent leur vie quand le devoir l'exige.

J'aurai un souvenir fréquent, dans mes prières et au Saint Sacrifice de la Messe, pour son âme, puisque l’Église nous demande de prier beaucoup pour nos morts, mais ne le pleurez pas comme ceux qui sont sans espérance et qui ne savent pas se confier à l'infinie bonté de Dieu.

Daignez, Madame, agréer mes respectueuses condoléances, mes profonds hommages et l'assurance de mes sentiments les plus dévoués.

A. Leclère »

Lettres du 18 Août 1917 et du 31 Août 1917, écrites au front, du R.P. Barat, Missionnaire O.M.I. à Madame Etienne.

« Madame,

Avant-hier, j'étais à orner les tombes de nos soldats dans un cimetière du Front, quand deux poilus m'abordèrent, cherchant en vain la tombe du Ss.Lieutenant Maurice Etienne. Elle était beaucoup plus à l'arrière, au village de Dombasle, non dans le cimetière paroissial, mais dans un cimetière militaire adjacent et clôturé d'une haute palissade de jonc. Je suis allé là-bas ce matin, moins pour reconnaître la tombe que pour prier sur les restes mortels du vaillant officier.

Je la connaissais déjà cette tombe, pour l'avoir remarquée entre toutes les autres pour sa croix plus grande, pour sa plus riche ornementation et par le soin avec lequel elle est entretenue. Des mains pieuses et dévouées y déposent régulièrement dans un vase un gerbe de fleurs. Ce sont actuellement des dahlias de diverses couleurs. Les plantes d'arrière-saison y poussent en pleine terre sur toute la surface de la tombe, entourée d'une balustrade peinte. Une plaque de métal appliquée à la croix reproduit toutes les indications voulues, inscrites déjà sur la croix. Deux magnifiques couronnes sont posées sur la clôture de la tombe : l'une, appuyée à la croix, est celle offerte par le Lt.Colonel du héros, l'autre, tressée de roses et de violettes, est celle des officiers et soldats à leur cher ami et camarade, comme le porte l'inscription elle-même.

Je suis heureux, Madame, de pouvoir vous donner ces indications et veuillez agréer l'hommage de ma douloureuse sympathie. De pareils deuils sont crucifiants pour le cœur, oui, mais vous n'ignorez pas comment meurent nos soldats, en héros et en catholiques, tous. Donc, nous devons porter fièrement le deuil de nos chers disparus, avec la douce confiance qu'ils jouissent de l'éternelle récompense des élus, que – de là-haut – ils continuent de veiller sur nous, de vivre au milieu de nous, de nous porter au bien, de telle sorte que nous puissions nous-mêmes, un jour, les retrouver et vivre avec eux une vie d'éternelle union dans le Seigneur.

Le Père Barat, Missionnaire O.M.I. »

Seconde lettre.

« Madame,

J'ai reçu avec reconnaissance la lettre si digne et si noble que vous avez daigné m'adresser le 25 août, en réponse à quelques renseignements qu'il m'était bien facile de donner.

Douloureusement impressionné d'apprendre que le Ss.Lieutenant Maurice Etienne est le fils du Commandant. Je me fais un devoir, Madame, de vous redire mes sentiments de respectueuse condoléance, comme aussi mon admiration pour la noble victime tombée au champ d'honneur. Ce sont là des morts que le cœur, que la nature doit pleurer, mais que – en réalité – nous ne pouvons pas ne pas envier, tant elles ont de beauté, tant elles renferment d'espérance !

Vous craignez, Madame, en chrétienne, que votre fils n'ait été qu'un héros ; vous souhaiteriez le voir martyr, parce que le martyre appelle la récompense des élus, nécessairement, en tant que suprême témoignage de la Charité Parfaite…

Le soldat héroïque, Madame, et votre fils en est un, est celui qui a envisagé clairement tout son devoir, et accepté généreusement, d'une façon au moins tacite mais réelle, le devoir difficile et même le sacrifice suprême de l'effusion de sang. Et le devoir – en la circonstance – qu'est-ce donc ? Défendre sa patrie, venger la justice violée, donc sauver ses frères, protéger les autels et les foyers de la patrie, n'est-ce pas la forme supérieure de la charité, suivant la parole du Sauveur : « Nous n'avons pas de meilleur moyen de pratiquer la charité que de donner sa vie pour ceux qu'on aime. » Si donc le simple fait d'envisager et d'accepter chrétiennement la mort sur le champ de bataille constitue un acte de charité parfaite, nous sommes fondés à espérer fermement pour nos héros le parfait bonheur des élus. Eh oui ! Jésus choisit ses victimes, parce qu'il faut pour le salut du pays des victimes d'agréable odeur, et si Il réclame avec le sang des fils, les larmes des mères, c'est après avoir versé Lui-même, Fils Innocent, jusqu'à la dernière goutte de son sang et après avoir mêlé à son sang rédempteur toutes les larmes de la plus tendre, de la plus pure des Mères, devenue par le fait notre co-rédemptrice et notre Mère.

Confiance donc, Madame ! J'ai bien connu le Commandant Etienne, depuis trois ans que je suis là…… etc.

Nous sommes redescendus de la fameuse côte reconquise, pour quelques semaines au repos à l'arrière. J'ai donc quitté votre chère tombe, mais je puis vous assurer, Madame, de mon souvenir fréquent à l'autel, à vos intentions et en faveur de votre cher enfant.

Hommage de religieux respect,
Le Père Barat, Missionnaire O.M.I. »


Voici enfin une lettre écrite d'Alger le 4 Octobre 1917, du Médecin-Major Aubry, qui était son camarade au 367°.

« Madame,

Je trouve votre lettre à mon retour d'Algérie, après une permission qu'une maladie de ma femme a prolongée, et je suis confus du retard que j'apporte à vous répondre. J'en suis d'autant plus navré que votre lettre est de celles auxquelles j'aurais voulu répondre immédiatement, par respect profond pour votre douleur si noble et si haute, en souvenir de mon cher camarade disparu, que nous pleurons chaque jour.

Je sais que vous avez eu, par le Lieutenant Pinot, des détails sur les circonstances dans lesquelles votre malheureux fils a été frappé. Nous le savions tous brave, ardent, audacieux, mais également froid et réfléchi. Il était de ceux qui, même dans les moments les plus critiques, savent conserver un sang calme et juger rapidement la situation. Les hommes qu'il commandait avaient senti en lui un chef et le suivaient aveuglément. Le connaissant tel, nous savions qu'il conduirait toujours judicieusement les siens, en leur évitant les pertes inutiles, même dans les circonstances les plus critiques. Et c'est un obus quelconque, anonyme, un de ces obus qui battaient furieusement notre ligne, qui l'a frappé à l'instant où il cherchait à se rendre compte en regardant par-dessus le parapet de la tranchée. Le Docteur Laurière, du 4° Bataillon, qui l'a vu presque aussitôt, m'affirme qu'il n'a pas souffert et que la mort a dû être foudroyante. Il a été relevé aussitôt et conduit au poste de secours du bataillon, puis transporté à l'arrière par les hommes de sa compagnie, atterrés par ce malheur. Ils adoraient leur officier, jeune, beau, vaillant. Ils connaissaient encore mieux que nous son énergie, son cœur ardent et généreux, toujours ouvert aux belles pensées, aux nobles sacrifices.

Quant aux officiers du régiment, à ses chefs, à ses camarades, comme n'auraient-ils pas aimé ce grand garçon aux yeux purs et droits, à l'abord si franc et si loyalement bon ?

Sa mort a été un deuil pour tous et il ne se passe un jour où nous n'évoquions le souvenir de sa jeunesse et vibrante amitié, à jamais perdue. Pour moi, Madame, j'avais compris et aimé dès le premier contact sa nature enthousiaste et généreuse, et j'étais touché d'avoir éveillé sa sympathie.

Malgré la différence de nos âges, nous nous étions lié de suite d'amitié, heureux d'échanger une poignée de main, un sourire, au tournant d'un boyau ou dans un abri, heureux de nous trouver semblables dans la foi et l'espérance en la victoire finale de notre cher pays.

Hélas, il est tombé, lui encore, après tant d'autres ! C'est payer bien cher la victoire que de l'acheter avec un sang si noble, si jeune, si généreux. Notre front, ici, s'assombrit chaque jour ; et si ce peut être une atténuation à votre inconsolable et trop juste douleur, dites-vous bien, Madame, que nous pleurons tous, ici, votre cher disparu. Il est resté dans notre souvenir à tous. C'est une tristesse pour toutes nos réunions que de ne plus revoir ce regard calme et grave, ce jeune et généreux cœur. C'est un grand exemple aussi, et en pensant à lui personne ne doit oublier la leçon de ce sublime sacrifice.

Je regrette de n'avoir pas pu vous apporter, à mon passage à Paris, l'hommage de ma respectueuse sympathie.

Veuillez agréer, Madame, mes plus respectueux hommages,

Dr. Georges Aubry »

Ces quelques lettres accompagnées d'une foule de témoignages oraux et de nombreuses marques de sympathie, attestent les sentiments d'estime et d'affection que notre cher Maurice avait su inspirer chez tous ceux qui l'approchaient. Je dois ajouter que sa mort héroïque ne fut pas stérile. Dès le lendemain, la série de sanglants combats dont j’ai parlé se termina par l'enlèvement définitif de la fatale côte 304 par le 367°. Dieu devait bien ce succès à tant d'efforts, à tant de sang versé.

Le général commandant la 2ème Armée, sous le N°843, citait à l'Ordre de l'Armée :

« Les 4 compagnies de Mitrailleuses du 367°RI qui, groupées en vue d'une contre-attaque immédiate, sous les ordres du Commandant Léro, commandant le 4° Bataillon du 367°, ont réussi, grâce à leur vaillance et une liaison intime entre tous leurs éléments, à refouler victorieusement l'ennemi, à reprendre les tranchées qu'il avait enlevées et à s'y maintenir, malgré de vigoureuses contre-offensives, arrêtant ainsi définitivement son avance et lui faisant des prisonniers. »

De Là-Haut, Maurice a dû accueillir avec fierté ce bulletin de victoire, contresigné de son sang, heureux présage du triomphe définitif de nos armes, de la justice, du droit et de la libération du territoire français.

Désormais, il peut dormir en paix son dernier sommeil et recevoir sur sa tombe, fleurie par des soins pieux, les hommages de reconnaissance et d'admiration de ceux qui lui ont survécu. Il repose pour toujours en terre française.

Pour terminer ce qui a trait à la mémoire de Maurice, en dehors des manifestations religieuses qui eurent lieu à la paroisse d'Auteuil, j'ai à signaler ce qui suit…

En l'église de N.D. d'Auteuil, une belle plaque en marbre blanc, sur laquelle sont inscrits en lettres d'or les noms des paroissiens morts pour la France a été érigée, à droite en sortant. Le nom du Lieutenant Maurice Etienne y figure, mais avec une date erronée : 1916 au lieu de 1917.

A l’École des Sciences Politiques, rue St. Guillaume à Paris, j'avais immédiatement fait part au Directeur de la mort glorieuse de Maurice. Il me répondit, par la plume de Monsieur Claudel, Secrétaire Général, par la lettre ci-après, datée du 14 Août 1917.

« Monsieur,

C'est avec un profond sentiment de douleur que l’École des Sciences Politiques a appris le deuil cruel qui vient de vous frapper et je m'empresse de vous transmettre l'expression des vives condoléances du Directeur et du Corps professoral de l’École.

Le souvenir de votre glorieux sacrifice ne périra pas ici. Le nom de Maurice Etienne figurera au Livre d'Or de l’École. Je vous serais très reconnaissant de me communiquer à ce sujet les détails touchant à la carrière militaire de Monsieur votre fils, qu'il serait intéressant de consigner dans les archives de la Société des Anciens Élèves.

Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments personnels de profonde condoléance et de vive sympathie.

Claudel
Secrétaire Général »

En réponse à cette lettre, je m'empressai de fournir les renseignements demandés et je reçus, avec les exemplaires de la notice annoncée, le mot ci-après, daté du 20 Février 1918.

« Monsieur,

Je vous fais parvenir quelques exemplaires de la notice que le dernier Bulletin de la Société des Élèves de l’École des Sciences Politiques vient de consacrer à Maurice Etienne. C'est un bien petit hommage rendu à cette belle mémoire. Vous y verrez du moins la preuve que son souvenir ne périra pas parmi nous.

Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments les plus tristement sympathiques.

Claudel »

Enfin, lorsque la décoration de Chevalier de la Légion d'Honneur à titre posthume de Maurice eût paru au Journal Officiel, j'en fis part à l’École et je reçus la dernière lettre que voici, datée du 18 Juillet 1920.

« Monsieur le Commandant,

Je m'empresse de vous remercier de la communication que vous avez bien voulu me faire de la décoration dont Mr. Votre Fils a été l'objet, et de vous dire que j'aurai soin qu'elle soit publiée dans la revue de l’École et dans le Livre d'Or de la Société des Élèves. Tous les anciens camarades de votre fils applaudirent avec émotion et fierté à ce dernier hommage rendu à sa valeur.

Claudel »

La notice, qui est annexée au présent travail, a paru dans le supplément à la Revue des Sciences Politiques en date du 15 Février 1918. Le Livre d'Or de la Société vient de paraître (1921) et Maurice y figure à la page 47. Enfin, une stèle a été érigée dans le préau de l’École et contient les noms des 330 anciens élèves morts pour la France.

Le Lycée Louis-le-Grand, où Maurice avait terminé ses études, m'ayant écrit pour avoir des renseignements sur sa carrière et ses derniers jours, je lui envoyai ce qu'on me demandait. En outre, le photographe Pirou, rue Royale, chargé par ce Lycée d'établir un album général des anciens élèves morts pour la France, me réclama un ancien portrait en vue d'un agrandissement. Le tout était destiné à l'établissement d'un Livre d'Or, puis un monument, non encore terminé.

Le Petit Séminaire du Rondeau-Montfleury (par La Tronche, Isère) déploya la plus grande sollicitude en vue d'honorer la mémoire des anciens élèves morts pour la France. Une très belle plaque en marbre noir, placée sur le côté gauche intérieur de l'ancienne chapelle du Sacré-Coeur, porte, inscrits en lettres d'or, les noms des 150 braves tombés à l'ennemi. Un service annuel est célébré pour le repos de leur âme et des prières fréquentes sont dites à leur intention.

Enfin, un professeur distingué du Rondeau, M. l'Abbé Huguet, a écrit et publié, à l'instigation des la Société des anciens élèves, un très beau Livre d'Or, pour perpétuer le souvenir de ceux qui sont tombés « En holocauste pour la France » pendant la grande guerre 1914-1918. Cette publication, remarquablement bien rédigée et documentée, comprend, avec leurs portraits, les noms et les photographies des 150 victimes. Maurice est sociétaire perpétuel de la Société des anciens élèves du Rondeau.

La Société Sportive Doyenne de Paris, le Stade Français, dont Maurice a fait partie jusqu'à sa mort et où il occupait, à la mobilisation, les fonctions de Capitaine de l'équipe première de Rugby, m'a demandé tous les renseignements concernant la mort de notre fils, en vue l'érection, sur leur terrain de St. Cloud, d'un monument funèbre à la mémoire des stadistes morts pour la France.
Maurice au Stade Français (sous la croix)
Maurice avait la passion bien légitime des sports, du ballon ovale en particulier. Il avait même été classé comme International, ce qui indique sa qualité. Dans le jeu, il avait trouvé l'occupation de ses loisirs, la santé, la souplesse et une force de résistance qui lui fut d'un grand secours pendant la guerre. Il mérite bien d'être inscrit en bonne place dans les annales du Stade.

J'ai terminé ce pieux et modeste hommage rendu à celui qui fut le meilleur des fils et un héroïque français. Les larmes que nous avons versées et que nous verserons encore jusqu'à notre fin ,ne comportent pas d'amertume, puisqu'une telle mort contient en elle-même des germes de consolation et d'espérance.

Maintenant que tout est fini, qu'après bien des révoltes et des murmures contre l'arrêt impitoyable de Dieu nous nous sommes soumis pour conserver intact l'espoir de retrouver notre fils un jour, il nous reste une décision à prendre sur le lieu définitif de sa sépulture.

Notre intention actuelle, confirmée par une demande officielle, est bien d'inhumer Maurice à Grenoble, dans la concession perpétuelle de la famille Salviany, près de ses ancêtres.

Mais nous hésitons, car n'est-il pas préférable de ne pas troubler son dernier sommeil, de le laisser reposer en paix dans la tombe choisie par ses frères d'armes, dans ce sol arrosé de son sang, sur ce terrain reconquis par sa vaillance ? D'autant plus que – désormais – ma propre famille est sans doute appelée à disparaître en Dauphiné.

Quel que soit le lieu qui abritera sa dépouille mortelle, nous saurons, jusqu'à notre dernier jour, y déposer le pieux tribut de nos inlassables prières et de notre inconsolable tendresse.

Tous les miens tiendront à nous imiter.

Ceux qui, pieusement, sont morts pour la patrie
ont droit qu'à leur cercueil, la foule accoure et prie.

Qu'il repose en paix.


Au verso du Memento :

**** Sa dernière citation ****

« Officier remarquable de sang-froid et de bravoure, ayant le mépris le plus absolu du danger, a remarquablement dirigé les tirs de sa section de mitrailleuses. Est tombé, mortellement frappé, à Verdun, le 28 Juin 1917, au moment où il arrêtait la progression de l'ennemi. (Croix de Guerre avec palmes) »

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Ô mon Dieu ! Il vous a plu de prendre sa jeunesse avant qu'ait sonné la fin du combat et l'heure de la victoire… Faites que son sacrifice soit utile à la Patrie.

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Il s'avançait dans la vie entouré de l'amour des siens, respecté de ses inférieurs, recherché de ses camarades, estimé des ses chefs et aimé de tous. (Saint Jérôme)

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Quand on meurt martyr de son devoir sur le champ de bataille, on se réveille dans la gloire et la béatitude (Cardinal Amette)

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Une telle mort constitue un protecteur au Ciel pour tous ceux qui le pleurent ici-bas. (Mgr. De Durfort) »

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Paris, le 2 Novembre 1921
Son père,
Commandant Léon Etienne




















mardi 7 juin 2016

1917 : Verdun, la mort au bout du chemin

Maurice ETIENNE

Sous-Lieutenant au 367ème Régiment d'Infanterie


Chapitre IX

1917 : Verdun, la mort au bout du chemin




Année 1917



20 Janvier 1917... [suite résumée des lettres de Maurice]. Maurice rentre de permission et remonte aux tranchées. Le secteur reprend de l'activité, le froid également ; le thermomètre atteint -23°.

Il apprend le mariage d'une amie de Simone, Élisabeth Bluet, avec un professeur agrégé de Philosophie qui est mobilisé. Il recommande à Simone de faire davantage de bons gâteaux et moins de philosophie que son amie qui est toute à la préparation de sa licence

Le 27 Janvier… Événement de menue importance. Maurice a déjeuné à la Brigade, où l'on s'ennuie ferme mais dont le cuistot connaît bien son affaire. Il a reçu une mission de confiance, en étant nommé chef des Patrouilleurs d’Élite du Bataillon.

A Amiens, j'avais eu l'occasion de consulter pour lui une émule de Madame de Thèbes qui m'avait prédit qu'il épouserait, à la fin de la guerre, une jeune fille blonde. Maurice se moque de la pythonisse et raille toutes les velléités matrimoniales qui viendraient à se produire avant le chambard final.

Le 6 Février… Le froid continuant à être excessif, Maurice a commencé à apprécier les chaussettes très chaudes qu'il avait considérées jusqu'à présent comme « une invention issue d'une civilisation décadente et névrosée. »

Le 19 Février… Son ami, le Lieutenant Bussienne, quitte la 4° C.M. du 367° pour entrer dans l'aviation. Il apprend aussi le décès de Madame Quinton.

Le 2 Mars… Maurice a été détaché pour suivre un cours spécial à Lunéville, destiné à former des apprentis commandants de Compagnie. Maurice y a obtenu d'excellentes notes, excepté pour l'équitation où il ne manque pas tant de solidité que de grâce.
Le 2 Avril… C'est le lundi Saint 2 avril que notre fils prit à Paris sa dernière permission. La semaine était plutôt sévère ; le temps était froid, la neige tombait. Nous avions une cuisinière qui était une brave fille mais qui ignorait les premiers principes de son art. Notamment, elle n'avait jamais su saler un plat. Elle n'avait donc rien de ce qu'il fallait pour rendre savoureux les menus maigres de la Semaine Sainte, en sorte que la cuisine paternelle ne put faire oublier à Maurice les mauvais jours de sa popote. Malgré ce contretemps, malgré l'absence de distractions à cette époque de l'année, Maurice était content de tout, heureux de tout ; il ne quittait pas un instant la maison paternelle, le refuge où il se sentait à l'abri. Il semblait vouloir se faire regretter plus encore !

Moi-même, prévenu un peu tard, j'arrivai en permission le lundi de Quasimodo et je ne pus passer que quatre jours avec notre fils, jusqu'au 11 avril. Je l'accompagnai au départ jusqu'à la Nation du Métropolitain (Pont Mirabeau), le cœur un peu gros, et je l'embrassai plus tendrement encore que de coutume, en le recommandant à Dieu.

Maurice, plus ému lui aussi en quittant la maison, se retournait fréquemment vers la fenêtre d'où Maman continuait à lui envoyer ses adieux, jusqu'au tournant de l'avenue qui lui cacha à tout jamais celle qui – depuis 26 ans – prodiguait sa vie pour lui.

Les uns et les autres, nous étions assiégés de sombres pressentiments. Maurice avait pénétré déjà trois fois dans la fournaise de Verdun. Il en était sorti indemne malgré les mille chances qu'il avait d'y rester. Enseveli sous un abri qu'un énorme projectile avait bouleversé, Maurice ne s'en était tiré que providentiellement, grâce au dévouement admirable de ses hommes qui l'avaient en quelque sorte déterré. Des milliers de projectiles de tous calibres avaient semé la mort autour de lui, coupant, broyant, empoisonnant, détruisant tout ce qui vit. Maurice y avait échappé, comme par miracle. Mais ce miracle se reproduirait-il toujours ? On conçoit nos angoisses qui allaient être justifiées par la plus terrible réalité.


Le 28 Avril… Maurice, en rentrant à sa compagnie, la trouva au repos. Le temps était devenu splendide et on augurait bien de la campagne d'été. Toutefois une contrariété, bien futile sans doute, l'attendait : un bel uniforme neuf, qu'il avait commandé à Paris chez Richard en vue de sa permission de juillet et qu'il rapportait avec lui sans avoir pu procéder à un second essayage, était complètement manqué. « La culotte serait trop large pour un Zouave, et je n'ai pu, malgré tous mes efforts, entrer dans la tunique. » C'était donc un four complet, et il fallut faire arranger, dans la mesure du possible, cet uniforme par un tailleur du Bataillon.

Le 25 Mai… Maurice a une crise d'entérite, par suite du surmenage, de la chaleur insolite et de la mauvaise eau. Il en est réduit à un régime qui ne lui plaît guère, « des nouilles et de l'eau de riz. »

Il vient d'apprendre que son ex-ordonnance Pouteau, passé au 369°, a été gravement blessé au ventre, qu'il s'en est tiré, mais qu'il a du être réformé.

Le 30 Mai… Maurice va mieux. Il parle vaguement du calme de son secteur, alors que lui-même est de nouveau en route pour Verdun. Il est vrai que, sans donner ce dernier détail, il promet d'écrire tous les deux jours.

Le 1er Juin… Sans rapporter des faits bien décisifs, il constate qu'à la suite de l'insuccès de l'offensive Nivelle et de la durée indéfinie de la guerre, l'esprit des hommes n'est plus aussi bon qu'autrefois.

Le 14 Juin… Ses lettres, où il s'étend sur la température excessive, la beauté de la campagne et l'exploitation des mercantis, alors qu'il est en pleine bataille à Verdun, n'ont d'autre but que de tranquilliser sa mère. Il lui dit seulement de ne pas s'alarmer de ce qu'elle peut entendre dire à droite et à gauche, que ce sont la plupart du temps des racontars exagérés.

Le 15 Juin… Revenant sur la question brûlante du moral de l'armée, de la campagne alarmiste et même défaitiste que poursuivait une propagande criminelle, il ajoute que le Général de Castelnau, grand chef sur le front, venait de faire paraître une note magnifique qui remettait bien les choses au point.

Pour lui, qui a toujours été patriote ardent et optimiste quand même, il se rend compte qu'il faut beaucoup de doigté avec des hommes partis dans la conviction de faire une guerre à fond mais courte et qui voient la lutte se cristalliser dans des boyaux humides, sans qu'il leur apparaisse une lueur de solution.

Plus que jamais, il faut remonter le moral des poilus et les exhorter à la patience, dans la certitude du succès final. Un mot d'encouragement et d'affection vaut mieux que tous les blâmes. Il s'en est aperçu ces jours derniers, avec sa compagnie qui exulte, parce qu'elle a gagné le concours de tir à la mitrailleuse de la Division et qu'elle a obtenu un témoignage de satisfaction dont chacun est fier.

Le 26 Juin… Il est très sobre de détails et les lignes rapides indiquent déjà qu'il écrit d'un endroit où les bureaux sont sommairement installés. Il revient à la pensée de sa prochaine permission. Il sait que sa mère et ses sœurs sont en villégiature à Seyssins, petite localité près de Grenoble, et il se réjouit d'aller les rejoindre. Il reçoit même une photographie (ci-après) représentant sa sœur aînée au milieu de ses deux cousines, Marcelle et Suzanne.
A Seyssins, juin 1917, Marcelle Hermil, Magdeleine Etienne et Suzanne Lacuire
Il tombe en ce moment une pluie diluvienne, qu'adoucit la température sénégalienne de ce mois.

Le même jour il me donne – à moi personnellement – des nouvelles plus circonstanciées. Sa Division, relevée des tranchées le 26 mai, est allée se reconstituer dans un camp d'instruction. De là, on les a dirigé sur Verdun, mais au lieu d'aller sur le rive droite, comme dans les trois affaires précédentes, moins snobs cette fois, ils restent rive gauche. Pour m'expliquer, sans trahir les secrets de l’État, le point où il se trouve, et faisant allusion à sa quatrième intervention sur Verdun, il dit que c'était prévu car jamais trois sans quatre, jeu de mots assez intelligible pour m'indiquer qu'il est à la côte 304. Il ajoute que le marmitage, sans être aussi effroyable que l'année précédente sur les pentes de Vaux, est suffisamment intense.

Je reçus cette lettre le 30 juin, et la situation de notre fils ne laissa pas que de m'inspirer une grande anxiété.

Le 28 Juin… Quelques mots à sa mère pour la rassurer encore. Le temps s'est remis au beau et lui-même continue à se bien porter. Il accepterait volontiers d'être adjoint à l'armée américaine, poste pour lequel sa connaissance de la langue anglaise l'ont fait proposer.

Ce sont les dernières lignes que nous devions recevoir de Maurice. Quelques heures après les avoir écrites, il était tué raide par un obus allemand, mais nous ne devions apprendre sa mort que 25 jours plus tard. Le récit qui va suivre nous a été rapporté par ses chefs, ses camarades et les témoins de la catastrophe.
Pour préciser la situation, disons d'abord que ma femme et mes deux filles étaient arrivées à Seyssins vers le milieu de Juin, pour un séjour de trois mois, et qu'une partie notable de la famille, concentrée dans la région, attendait Maurice vers le milieu du mois d'Août. Mon gendre, le Capitaine du Génie Pierre Hanoteau, ainsi que se femme, notre fille Magdeleine, seraient pet-être des nôtres à la même époque. Quant à moi, Commandant d’Étapes à Villers-Cotterêts, je pouvais espérer que mes fonctions, assez absorbantes par ailleurs, me permettraient de faire coïncider mon séjour en Dauphiné avec celui de mon fils. Les vacances s'annonçaient donc sous d'heureux auspices. Plus d'un projet d'avenir s'élaborait discrètement, mais Dieu n'en permit pas la réalisation.
Madame Pierre Hanoteau, née Magdeleine Etienne
Les lettres de Maurice, dont la plupart ne renfermaient que des assurances de bonne santé, se succédèrent avec régularité jusqu'au 2 juillet, date à laquelle parvint à Seyssins la dernière, écrite le 28 juin. Puis le silence se fit, pesant et d'autant plus angoissant que notre fils avait solennellement promis d'écrire tous les deux jours. Les lettres pressantes que nous lui adressions, ma femme et moi, restaient sans réponse, alors que les journaux faisaient allusion à de sanglants combats livrés autour de Verdun, où nous savions qu'il était.

Mais peut-être n'était-il que blessé !!!

Enfin, le voile se déchira sur l'affreuse réalité. Le 23 Juillet à 15 heures, un Commandant qui m'était adjoint, dépouillant comme d'habitude mon volumineux courrier de service, vint me trouver fort pâle, et me tendit une lettre personnelle qui courrait après moi depuis une douzaine de jours, dans mes résidences précédentes. Je la lus, la mort dans l'âme, n'osant la comprendre. En voici le contenu, daté du 9 juillet 1917.

« Mon Commandant,

Je prend aujourd'hui la liberté de vous écrire, en vous priant de rassembler tout votre courage pour supporter la douleur qui vient de vous frapper.
Votre fils, Maurice Etienne, vient de tomber au champ d'honneur, face à l'ennemi. Il est tombé en brave, le 28 juin, vers 19H15, pendant l'attaque allemande sur la côte 304. Deux éclats d'obus l'ont frappé, l'un à la tête, l'autre au sein gauche, atteignant probablement la région du cœur et déterminant la mort instantanée, alors qu'il disposait ses grenadiers pour la défense de ses pièces.

Son corps a été ramené à l'arrière, mis en bière, et inhumé au cimetière de Dombasles-en-Argonne. Avant de quitter le secteur, nous avons pu lui construire un petit entourage, et une croix porte tous les renseignements permettant d'identifier sa tombe. Une plaque de zinc à son nom a également été clouée à son cercueil.

Les objets personnels qu'il avait sur lui ont été rassemblés et, pour qu'ils vous parviennent plus sûrement, je les ai fait remettre à un camarade, le Lieutenant Bussienne, Escadrille F.25, qui doit partir prochainement en permission. Ces objets comprennent un portefeuille, une croix de guerre, un porte-monnaie et son contenu, un stylo, un agenda et les clés de ses cantines. Les cantines vous seront renvoyées par la voie normale.

Notre pauvre camarade ne laisse que des regrets au Régiment où il était estimé de tous. Pour ma part, sa mort me remplit d'une peine profonde. J'étais son commandant de compagnie et nous vivions cette même vie depuis fort longtemps. Il était devenu mon meilleur ami et sa perte m'a vivement attristé.

J'ai préféré attendre un peu avant de vous annoncer cette mauvaise nouvelle, en vous laissant le soin d'en prévenir Madame Etienne.

Veuillez...etc…

signé :
Lieutenant Pinot, 367° Régiment d'Infanterie, 4°Cie.M. »

C'était, sans préparation ni ménagement, ce qui faisait notre cauchemar perpétuel depuis deux ans, devenu réalité. Nous ne reverrions plus jamais notre fils, inhumé depuis 25 jours.
Tombe de Maurice à Dombasle

Le premier éblouissement dissipé, je me préoccupai des miens. Un télégramme à Grenoble chargea Madame Émile Clément de préparer discrètement la pauvre mère. Simone revenait ce même jour d'un pèlerinage à La Salette. Un deuxième télégramme à ma femme l'invitait à rentrer à Paris à cause de Maurice, ce qu'elles firent le 24, Simone et elle, ne comprenant pas encore complètement pourquoi ceux qui les accompagnaient à la gare de Grenoble versaient des larmes. En rentrant chez nous, elles ignoraient encore toute l'étendue de notre malheur. Elles ne l'apprirent que par le Cabinet du Ministre avec qui j'avais correspondu.

Après avoir fait dire, le 24, une messe à Villers-Cotterêts et écrit au 367° pour avoir d'autres détails, j'arrivai à Paris le 26 au matin, et l'entrevue avec ma femme fut ce que l'on devine. Dieu, qui avait été invoqué si souvent, journellement, en faveur de notre fils, n'avait pas cru devoir nous exaucer, réservant ses rigueurs pour les siens, sans pitié pour les supplications des parents et les larmes des mères !

Je ne ferai pas un tableau de notre douleur. Elle dure encore, moins expansive mais aussi profonde que le premier jour. Notre vie était brisée avec la perte du fils unique. Cela ne diminue en rien la tendresse que l'on voue aux filles, mais elles sont destinées à perdre le nom familial, et être absorbées dans d'autres familles, comme les rivières dans les fleuves.

Je ne parlerai ni des démarches, assez longues, pour rentrer en possession des chers souvenirs du défunt, ni des témoignages de sympathie qui nous parvinrent de tous cotés.

Le plus grand adoucissement à notre tristesse fut la religion. C'est grâce à elle que nous conservons le seul, l'inébranlable espoir de revoir Maurice un jour. C'est grâce à elle que nous pouvons encore lui venir en aide par les prières et les autres moyens d'assistance que nous procure l’Église. C'est un but dans notre vie.

Enfin, malgré toute notre peine,nous restons fiers de notre fils qui, après avoir donné pendant trois ans un magnifique exemple de force morale et d'abnégation à toute épreuve, est tombé en héros, face à l'ennemi, pour la France. Ce sang, noblement versé, est la rançon de la victoire et le rachat de bien des défaillances.

Nous croyons, nous savons que les yeux qu'on ferme voient encore ; qu'une telle mort est une sorte de martyre, car elle est l'accomplissement intégral du Devoir, « usque ad mortem », et que la communion persistante entre notre fils et nous se transformera un jour, bientôt, en réunion effective et définitive.
Une des dernières photos de Maurice sur le front